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La radicalisation de la jeunesse, un enjeu euroméditerranéen

http://www.huffpostmaghreb.com/sabastien-boussois/la–radicalisation–de-la-jeunesse-la-necessite-dun-reglement-politique-euro-mediterraneen-_b_12451112.html

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ISIS FLAG

Si l’on a tendance à se focaliser sur les processus de radicalisation de centaines de jeunes en Europe, on en oublie que ce sont avant tout des jeunes maghrébins, qui fournissent une bonne partie du gros des troupes dans les départs vers l’État islamique. Et tout particulièrement la Tunisie.

Il y a en effet près de 3000 Tunisiens actuellement en Syrie, atteignant la première place du podium sur près de 12000 et parmi 81 pays. C’est bien sûr énorme et devant les Saoudiens (2500) et les Marocains (1500). Comment l’expliquer d’autant qu’elle concerne avant tout les jeunes bien évidemment?

Medhi Jomâa, ancien premier ministre tunisien entre 2014 et 2015, s’exprimait le 28 septembre 2016 dans une conférence organisée par le Club de Madrid à Bruxelles, et intitulé « Preventing Violent Extremism: Leaders telling a different story »: « La radicalisation de nos jeunes est un sérieux problème et ne doit pas se traduire uniquement en termes sécuritaires mais nous devons réfléchir à des solutions avant tout économiques, sociales et culturelles ».

La jeunesse tunisienne est en effet très mal. Un article dans Leaders.com tentait d’apporter des éléments de compréhension: « L’engouement des jeunes tunisiens pour le départ au jihad en Syrie trouve son explication dans plusieurs facteurs socioéconomiques et idéologiques. Les fortes campagnes d’endoctrinement propagées dans les mosquées, accompagnées de mirobolantes incitations et relayées par des réseaux de prise en charge, ont longtemps fonctionné librement sans la moindre mise en garde de la part des autorités. Visant des jeunes fragilisés par l’échec scolaire, le chômage, l’obstruction des perspectives, la complexité des relations familiales et le questionnement identitaire et religieux, elles ont réussi à faire partir des milliers de jeunes, voire des couples, vers la Syrie ». C’est tout là tout le drame du monde arabe: sa jeunesse en mal d’inspiration et de perspectives!

Il faut bien dire qu’il peut paraître de prime abord paradoxal en se penchant sur les chiffres, de voir que la Tunisie toujours considéré comme un laboratoire des transitions démocratiques dans le monde arabe et un modèle de succès d’une révolution issue des « Printemps arabes », puisse générer autant de désillusions chez les jeunes prêts à partir.

Pourtant, on se souvient tous des attentats du Bardo en mars 2015 avec 24 morts, de Sousse fin juin 2015 faisant 38 morts, ou de Ben Guerdane faisant près de 50 morts, tout trois commandités par le terroriste et chef opérationnel de Daesh en Libye, Nourredine Chouchane.

Combien de nouveaux Bouazizi, en référence à Mohamed Bouazizi vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu en décembre 2010 par désespoir de sa situation économique, sont dans l’impasse aujourd’hui en Tunisie?

C’est bien sûr entre autres le résultat de cinq années catastrophiques post-révolutionnaires en matière économique et sociale, qu’aucun gouvernement n’a eu la capacité d’améliorer.

Les conditions des jeunes sont pires qu’en 2011, et nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles flambées de violence de leur part et de manifestations de désespoir comme ce fut le cas donc de Mohamed Bouazizi qui déclencha indirectement en 2010 la révolution.

Certes, la démocratie s’installe mais le chômage d’une part et le poids de la dette publique d’autre part atteignent des sommets. Avant 2011, le pays avait une relative autonomie financière; désormais elle est à la merci des institutions internationales qui ont généreusement arrosé le pays tout en l’entraînant dans la spirale de l’endettement.

Bilan: difficile de promettre un avenir tout rose aux jeunes Tunisiens. Il n’est donc pas à exclure que beaucoup s’en vont encore par idéalisme vers la Syrie, ce qui s’est davantage tari côté européen.

L’Europe est touchée de plein fouet par ce fléau au même titre mais à des degrés divers. Gilles de Kerchove, coordinateur pour l’Union Européenne de la lutte anti-terroriste renforçait cette idée lors de cet événement à Bruxelles en précisant « que c’est avant tout un problème de jeunes qui ont tous moins de trente ans et qui ont un problème de testostérone ». L’expression peut faire sourire mais elle met en balance la puissance post-adolescente de vouloir s’offrir un avenir radieux et le mur d’incompréhension qui s’offre à eux très rapidement avec ou sans diplômes face au politique qui les néglige.

La solution contre la radicalisation doit s’inscrire désormais dans une perspective euro-méditerranéenne puisque les problèmes sont presque les mêmes. A mêmes problèmes, mêmes solutions? En tout cas, l’emploi et le chômage des jeunes doivent être la priorité des politiques européens et maghrébins.

Que fait-on actuellement en Europe? Un grand plan européen a été lancé en 2015 pour appuyer les États et lutter contre le terrorisme et parmi ces mesures, une grande place accordée à la prévention. Elle passe par l’éducation, la formation, et la sensibilisation aux dérives de l’islam.

Côté français par exemple, des organisations plus ou moins anciennes se penchent sur ces questions depuis des années comme l’association niçoise Unismed, missionnée pour former le personnel pédagogique, éducatif et social de près de 2/3 des départements français à la radicalisation des jeunes et à la compréhension géopolitique de ce qui se joue au Moyen-Orient.

Côté belge, des organisations de mamans de jeunes partis et morts en Syrie, tentent de partager leur expérience malheureuse et de proposer des solutions contre la radicalisation comme SAVE Belgium, par exemple, dirigée par Saliha Ben Ali.

Les programmes européens existent: parmi eux, le programme RAN, Radicalisation Awareness Network qui intervient au niveau local en prévention, implication de professionnels de première ligne, en développant des approches multi-institutionnelles. Mais également TerRa (Terrorism and Radicalisation) qui vise à soutenir les agents de première ligne en contact avec les groupes vulnérables à la radicalisation, soutenir les victimes du terrorisme et les anciens radicaux, intégrer au Programme de citoyenneté européenne des connaissances sur ces phénomènes afin de sensibiliser les étudiants des lycées et universités, et enfin conseiller les gouvernements européens.

Il existe également des programmes nationaux qui concernent aussi bien le Pakistan, que le Nigeria, Israël ou la Tunisie. Le programme Taysir Micro-Finance Greenfield a été lancé en 2012 avec un budget de 9,17 millions d’euros à destination jusqu’en 2018 des communautés les plus vulnérables à la radicalisation. Le programme, via une institution de micro-financement, soutient les populations pauvres en matière d’éducation financière et en soutien à leurs activités économiques afin qu’elles ne basculent pas dans l’économie parallèle, terreau fertile à la radicalisation. Le gros du projet se passe en zones rurales, là où il n’existe aucun soutien national à ces populations.

Il faut aller plus loin et privilégier l’économique et le social afin de lutter contre les injustices ressenties et/ou réelles. Qu’est-il actuellement fait ou prévu du côté tunisien? Après les attentats, près de 700 opérations contre des terroristes « présumés » ont été effectuées dans le pays.

Le jeune de l’attentat de Sousse était connu depuis trois ans des services. Et après? Mêmes difficulté qu’en Europe à les suivre à la trace. On semble bien démuni aussi en Tunisie, notamment en terme de prévention. Des associations appellent à une sensibilisation via les programmes scolaires, en vain.

Au-delà des exemple tunisien et français, quelle collaboration euroméditerranéenne peut être réalisée pour que des pays comme la France, la Belgique, le Maroc, la Tunisie, puissent activement œuvrer ensemble pour régler durablement le problème des jeunes à la dérive en proposant du solide, de la formation, de la sensibilisation, de la citoyenneté et de l’emploi?

Dans une recension du dernier ouvrage de Rachid Benzine, « Nour pourquoi n’ai-je rien vu venir? » (éditions du Seuil, Paris, 2016), nous rappelions que « le savoir des travailleurs sociaux a toujours été de nous faire comprendre qu’avant l’enfant dangereux, il y a l’enfant en danger à protéger. Egalement que la responsabilité est conjointe entre la famille et les pouvoir publics » .

La cellule familiale ne peut pas tout surtout dans les milieux précaires et plus les jeunes grandissent, « plus ils avancent en âge, plus leur quête existentielle de liberté et leur besoin d’autonomie convoquent une action publique préventive capable d’adaptation. La prévention des négligences parentales au plus jeune âge est bien balisée par les psychologues et le champ de la santé mentale au Nord comme au Sud de la Méditerranée. Mais la prévention de la malveillance des groupes sociaux qui entourent et se disputent l’influence sur l’adolescent est encore un chantier totalement neuf pour les politiques sociales aussi bien en Afrique qu’en Europe ».

La question tragique de l’allongement du passage de la formation à l’emploi stable, la question du chômage structurel des jeunes sont aussi des facteurs nécrosants qui sont autant endémiques en Europe que dans le bassin méditerranéen.

Doit émerger une vraie politique proactive: quand on sait que les moins de 25 ans sont près de 60% au sud, cela doit désormais être une priorité nationale et internationale par la voie des coopérations euro-méditerranéennes notamment dans le domaine de l’éducation, de la culture et de la participation à la société civile pour créer des formes nouvelles d’employabilité autrement que sous le seul modèle de l’emploi salarial qui tend à s’essouffler.

C’est la rôle que se donnent la Fondation Anna Lindh et plusieurs activités de l’Union pour la Méditerranée. (UPM). C’est ainsi le cas du programme Med4job qu’il faut continuer d’étendre dans une politique volontariste vers une jeunesse non privilégiée. La concertation Euromed est cardinale pour développer les pôles d’excellence et d’attractivité et ainsi éviter une fuite des cerveaux au nord ou dans les seules mégalopoles du Sud, et une fuite des esprits échauffés vers l’est vers les zones de guerre. N’ayons pas peur de dire que la paix dans nos régions est probablement à ce prix-là!

 

 

Prix Nobel de la Paix en Tunisie, une victoire pour l’ensemble des Tunisiens (avec Meriem Ben Lamine

En mars 2012, l’Institut Medea, avec le soutien engagé de deux députés européens, Malika Benarab Attou et Vicent Garcès, de l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée, et du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient, organisait le premier grand colloque international consacré à la Tunisie post-révolutionnaire, au sein même du Parlement européen à Bruxelles.

Avec Meriem Ben Lamine, nous pensions que c’était l’occasion idéale pour montrer aux Européens de quoi était capable la Tunisie. Les intervenants pressentis nous confirmèrent immédiatement leur désir de parler depuis Bruxelles, capitale de l’Union européenne et parfois de la désunion.

Une journée complète de débats avec des invités prestigieux et près de 150 personnes toute la journée nous rassura et sur la détermination des politiques, et sur celle de la société civile, à faire de cette « révolution » un laboratoire de la transition démocratique dans tout le monde arabe.

Parmi eux figuraient: Ridha Farhat, ambassadeur de Tunisie à l’UE, Kamel Jendoubi, aujourd’hui Ministre délégué chargé des relations avec la société civile, Bernardino Leon, à l’époque représentant de l’UE auprès des pays de la rive sud de la Méditerranée et actuel émissaire spécial des Nations unies pour la Libye, Karima Souid, députée Ettakathol, Mabrouka M’barek, députée du CPR, Zied Ladhari, député Ennhada puis porte-parole d’Ennhada et devenu Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle en 2014, Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’université de la Manouba, Vincent Geisser, chercheur à l’IFPO et à l’IREMAM, Hamrouni Nejiba, présidente du syndicat des journalistes, Helé Beji, écrivaine et président du collège international de Tunis, et Raouda Laabidi, présidente du syndicat des magistrats.

C’était une période charnière que l’Europe essayait de comprendre en dehors de toute grille d’analyse passée. Les « Tunisiens » que nous avions invités étaient venus parler aux « Européens », alors que le pays était en plein anniversaire des 56 ans de son indépendance, et que les commissions de l’Assemblée Nationale Constituante ont commencé leurs travaux de rédaction de la Constitution.

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En janvier 2014, une Constitution avec ses avancées et ses lacunes a été votée et a donné naissance à la deuxième république tunisienne. Désormais, la Tunisie n’est plus dans le transitoire. Cette nouvelle phase a donné lieu à des élections présidentielles et législatives en 2014 et l’Assemblée Nationale Constituante est remplacée par l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Aujourd’hui, malgré les difficultés économiques graves persistantes, malgré les assassinats politiques, malgré les attentats violents du Bardo et de Sousse, en 2015, la Tunisie reste debout et enterre seule les « Printemps arabes », qui semble ne lui avoir réussi qu’à elle-seule. Certes, il y avait un contexte favorable mais rien n’est jamais acquis: priorité à l’éducation depuis Bourguiba, fort dynamisme de la société civile, dont le quartet qui tout fait pour éviter la rupture de dialogue entre les partis politiques et que les fruits de la révolution deviennent amers et tournent à la guerre civile comme en Libye.

L’annonce du Prix Nobel au Quartet du Dialogue National tunisien est un encouragement de toute la communauté internationale pour le seul pays du monde arabe qui tient le coup. Alors, il est des prix Nobel comme des concours: le choix du vainqueur est toujours critiqué et suscite toujours pour d’autres des jalousies. C’est un fait: un prix n’est jamais parfait, pas plus qu’une démocratie, tunisienne ou pas, française ou pas, américaine ou pas. Mais ce Prix ne pourrait être remis en cause comme il l’avait été pour Barack Obama (2009) ou encore l’Union européenne (2012), qui enterrait les Grecs.

Le Comité norvégien du Nobel a donc salué la société civile, patronat, syndicat UGTT (Union Générale des travailleurs tunisiens), Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et Ordre National des avocats tunisien qui ont lancé le Dialogue national en 2013 alors que les troubles sociaux et les attentats politiques se multipliaient dans tout le pays. Ce quartet a réussi où d’autres ont échoué, il a pu mettre autour de la même table vingt et un parti politique sur vingt-quatre et avoir leur adhésion sur une feuille de route consensuelle.

L’Union européenne s’empressa de saluer les « lauréats qui montrent la voix », bien qu’elle soit toute concentrée sur la situation en Libye et la tentative de formation du gouvernement d’unité nationale. Le Président François Hollande déclara lui suite à l’annonce que ce Prix Nobel est « un encouragement pour encore soutenir la Tunisie dans les épreuves qu’elle traverse ». Les mêmes félicitations arrivent de différents pays arabes.

Le quartet doit poursuivre son rôle avant gardiste et prouver que ce Prix est bien mérité en responsabilisant l’Etat et les politiques à retrouver les assassins de deux figures politiques majeures: Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, à rétablir les négociations entre le secteur privé et public, et enfin à trouver une issue au conflit né à la suite de la proposition du Président de la République d’un projet de loi sur la réconciliation économique et financière nationale qui divise les Tunisiens de nouveau.

Interview du Nouvel Observateur cité par France TV Info

 « Canal de Suez : quatre chiffres pour comprendre l’ampleur des travaux »

L’Egypte inaugure, ce jeudi 6 août, le nouveau canal de Suez en présence de François Hollande. Un projet d’envergure qui permet de doubler le nombre de navires pouvant emprunter cette voie qui relie la Méditerranée à la mer Rouge.Il est le symbole de la reconstruction de l’Egypte. Le nouveau canal de Suez est inauguré, ce jeudi 6 août, en grande pompe. Parallèle à la première, la nouvelle voie doit permettre d’augmenter le trafic des porte-conteneurs. Ces bateaux démesurés pourraient, dans les prochains jours, être deux fois plus nombreux à emprunter le canal de Suez.Pour s’offrir cet agrandissement, le pays a déboursé pas moins de 8 milliards de dollars. Mais qu’importe, c’est « un cadeau des Egyptiens au reste du monde » affirme le président de l’Autorité du canal de Suez, Mohab Mamich, d’après The Independent (en anglais).

Francetv info revient sur l’histoire de ce chantier gigantesque en quatre chiffres. 

8 milliards de dollars

Avec ce projet pharaonique, l’Egypte veut asseoir sa domination maritime dans la région. Et consolider le rayonnement international de son canal. Au lancement du projet, le 5 août 2014, la facture des travaux était estimée à 4 milliards de dollars. Mais le chiffre évoqué par Mohab Mamich est rapidement devenu désuet. Ce vaste chantier a finalement coûté 8 milliards de dollars. Deux fois plus que prévu.

L’Egypte n’a pas seulement élargi le canal de Suez. Dans le cadre du projet, de nouveaux ports sont sortis de terre. Ces infrastructures permettront notamment d’entretenir de très gros navires. Le chantier « planifie également la création d’un hub [centre] technologique, de zones industrielles pour des entreprises intéressées par ce débouché immédiat sur l’une des principales routes maritimes mondiales et la construction d’entrepôts », détaille le magazine Orient XXI.

Plus de 100 000 ouvriers

Le chantier s’est étendu sur plusieurs dizaines de kilomètres. Plus de 100 000 ouvriers ont été mobilisés pour creuser cette nouvelle voie du canal. Pour répondre au délai d’un an imposé par le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, les travailleurs ont subi des conditions de travail difficiles. Les engins de chantier s’activaient jour et nuit. Au lancement des travaux, Mohab Mamish avait pourtant annoncé que le nouveau canal ne verrait pas le jour avant 2017.

Peu d’informations sont disponibles sur le quotidien des ouvriers. Mais, en septembre 2014, trois personnes ont perdu la vie sur le chantier. Après ces accidents, le délai imposé par les autorités égyptiennes a été considéré comme « irréaliste et dangereux » par le média Orient XXI.

72 kilomètres de long

La nouvelle voie maritime, creusée en parallèle du premier canal, s’étend sur 72 kilomètres. Pour permettre le passage des porte-conteneurs, les ouvriers ont dragué pas moins de 260 millions de tonnes de sable et de terre. Le premier canal a également été élargi de 37 kilomètres, rapporte Le Figaro. De quoi doubler le trafic, car les deux voies du canal permettent désormais la navigation dans les deux sens. Résultat : 97 bateaux pourraient l’emprunter chaque jour d’ici à 2023, contre 49 actuellement.

Grâce à cet élargissement hors du commun, le temps de traversée du canal devrait passer de dix-huit heures à onze heures. Un gain de temps important pour les navires chargés de marchandises.

13,2 milliards de dollars de recettes espérées

L’Egypte ne cache pas ses ambitions. Avec cette nouvelle infrastructure, elle espère augmenter nettement ses recettes. Le droit de passage permet au Caire d’engranger 5 milliards de dollars par an, soit près de 20% du budget de l’Etat. Mais cette principale voie de transit pour le commerce maritime mondial pourrait bientôt rapporter 13,2 milliards de dollars. L’estimation des autorités égyptiennes se base sur l’augmentation attendue du trafic sur le canal.

L’objectif  de cette opération d’envergure est de « résoudre un problème fondamental qui est la crise économique et sociale extrêmement violente en Egypte », indique Sébastien Boussois, collaborateur scientifique de l’Institut d’études européennes/Repi (université libre de Bruxelles), cité par L’Obs. Mais selon Ahmed Kamaly, économiste à l’université américaine du Caire, les retombées économiques espérées par le gouvernement resteront un « vœu pieux ».

Par Florian Delafoi

Interview pour Radio Campus, « Le complexe de sécurité en Israël », janvier 2015

 

 

http://www.radiocampus.be/actualites/histoire-de-savoir-europolis-lundi-13-juillet-18h15-sebastien-boussois-19134/

Emission consacrée à la situation d’impasse historique à Gaza, d’impossibilité de l’Etat palestinien, puis l’émission finira sur les questions hydrauliques au Moyen-Orient comme outil de coopération politique, économique et scientifique

 

Interview pour le Nouvel Observateur le 6 août 2015 « Le second canal de Suez »

Egypte : le pari fou du deuxième canal de Suez

Comme Nasser autrefois, le président égyptien Al-Sissi inaugure un deuxième canal de Suez, qui, espère-t-il, le fera à son tour entrer dans l’Histoire.

Un deuxième canal de Suez ? L’idée paraît peut-être saugrenue, et pourtant le président égyptien Al-Sissi inaugure ce jeudi 6 août un projet pharaonique lancé il y a tout juste un an. Initialement prévu pour 2017, ce nouveau canal, long de 72 kilomètres, a été construit au pas de charge. Parallèle au premier, il devrait permettre une double circulation des navires porte-conteneurs, une réduction du temps de parcours et une augmentation du trafic. Aujourd’hui, environ 50 bateaux circulent chaque jour ; dès le 6 août ce nombre pourra doubler. L’intensification des flux passant par le double canal de Suez rapportera, selon les estimations du Caire, 13,2 milliards de dollars par an d’ici 2023.

Financé par un appel aux dons

Alors que la situation économique est déplorable, comment ce projet qui a coûté pas moins de 9 milliards de dollars a-t-il été financé ? Le président al-Sissi a misé sur un effort collectif et national en lançant un appel aux dons. Stratégie gagnante puisque 80% du projet a été financé par des particuliers, grâce à l’achat de bons d’investissements vendus par l’Etat, quand seulement 20% ont été financés par des entreprises.

Succès à la fois politique et social, il montre l’engagement et l’espoir des citoyens dans ce projet, souligne Sébastien Boussois, chercheur associé à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) et spécialiste du Moyen-Orient:

Les Egyptiens espèrent que cette rentrée d’argent monumentale sera réinjectée pour résoudre les problèmes sociaux et financer une large démocratisation. »

Dans les pas de Nasser

La nationalisation du Canal de Suez par Nasser en 1956 a marqué un premier pas vers l’indépendance économique de l’Egypte vis-à-vis des Occidentaux. Jusqu’alors détenu à 44% par les Britanniques, sanationalisation a permis à l’Egypte de relancer la croissance. Véritable atout commercial et stratégique, en reliant deux mers, la mer Rouge et la Méditerranée, et trois continents, l’Asie, l’Europe et l’Afrique du Nord, c’est l’un des canaux les plus empruntés du commerce maritime mondial. Il rapporte ainsi 5 milliards de dollars par an au Caire. Comme Nasser autrefois, Al-Sissi met donc tous ses espoirs dans son canal.

Sauf que l’instabilité politique que connaît l’Egypte depuis la chute d’Hosni Moubarak en 2011 inquiète les investisseurs étrangers et les touristes. En 2014, 9,9 millions de touristes ont visité le pays, contre plus de 14 millions en 2010. La croissance n’atteint que 2% du PIB, et le taux de chômagestagne autour de 13%.

Un remède à la crise économique ?

C’est pourquoi, selon le chercheur Sébastien Boussois :

La construction du deuxième canal résulte d’une simple raison économique : résoudre un problème fondamental qui est la crise économique et sociale extrêmement violente en Egypte. »

Si l’on ne parle que de lui, ce chantier s’inscrit en réalité dans un projet beaucoup plus vaste : la création d’une véritable vallée technologique de renommée mondiale, grâce à la construction de ports et d’entrepôts, et à l’implantation d’entreprises autour du canal. Le but est de donner naissance à une région compétitive et stratégique pour relancer la croissance et créer de nouveaux emplois. Ce projet doit être financé par des investisseurs étrangers, mais encore faut-il les convaincre.

Un canal pas écologique

Un rapport publié dans la revue « Biological Invasions » (« Double trouble : the expansion of the Suez Canal and marine bioinvasions in the Mediterranean sea »), s’inquiète toutefois de l’impact environnemental d’un tel projet. L’empreinte écologique des deux canaux n’a jamais été évaluée par les autorités égyptiennes. Or, ils menacent l’écosystème et l’activité humaine en Méditerranée.

Selon les scientifiques, plus de 350 espèces arrivées par le premier Canal de Suez dans la Méditerranée depuis sa construction sont nocives, toxiques et représentent une menace pour la santé humaine. Manifestement, Al-Sissi compte se tailler une place sur la scène internationale sans se soucier des préoccupations environnementales.

Détourner l’attention des tensions sécuritaires

En revanche, le président égyptien souhaite montrer qu’il n’y a pas que la guerre contre Daech en Egypte. C’est le message qu’il veut faire passer. Face à la menace terroriste qui pèse sur l’Egypte depuis 2013 dans la région du Sinaï, l’ouverture du deuxième canal est aussi un moyen de souligner les efforts de reconstruction du pays. Alors que le pays est régulièrement frappé par des attaques islamistes – dernier en date, le procureur général du Caire Hicham Barakat a été assassiné dans la capitale lors d’un attentat à la bombe le 29 juin 2015 -, le canal permet de détourner l’attention et de promouvoir les atouts de la région en faisant oublier la guerre contre l’Etat islamique.

Surtout, « l’ouverture du deuxième canal de Suez est un moyen d’asseoir de manière internationale son image », conclut Sébastien Boussois. Un projet d’Al-Sissi pour Al-Sissi ? Faire valoir sa capacité à diriger un pays, s’imposer en nouveau Nasser, voilà son objectif. Mais le pari est risqué. Il n’y aura pas de vallée technologique sans sécurité politique.

Sandrine Wastiaux