La Bosnie Herzégovine, une poudrière en puissance

La Bosnie-Herzégovine, une poudrière en puissance (OPINION)

CONTRIBUTION EXTERNE Publié le – Mis à jour le 

OPINIONS

UNE OPINION DE SEBASTIEN BOUSSOIS – Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient et relations euro-arabes. Collaborateur scientifique à l’ULB et à l’UQAM. 
 
 

Un an après avoir déposé sa candidature à l’UE, celle-ci est à examiner. Ecartée, la Bosnie-Herzégovine pourrait en effet devenir un foyer actif de contestation et de radicalisation.

Au nom de sa sécurité, l’Europe à trop regarder son rivage sud, aussi bien sur les questions de radicalisation que la question des réfugiés, a tendance à négliger le cœur de son espace géographique. Ce que l’on pourrait appeler son « heartland ». Ce cœur géographique qui s’il est contrôlé permet la mainmise sur l’ensemble plus vaste dont il fait partie. Les documentaires et les articles de presse écrite se suivent en ce moment et se ressemblent sur le risque que représente un pays comme la Bosnie Herzégovine, poudrière de l’ex-Yougoslavie, musulmane à 95 %. Pourtant, rien n’y fait.

Sarajevo n’est pas une priorité

Alors que la Croatie a intégré le club très convoité des 28, Sarajevo n’est absolument pas une priorité dans la politique de voisinage européenne. Pourquoi est-ce une erreur fondamentale de Bruxelles ? Et pourquoi devrait-on s’inquiéter ?

Premièrement, parce que le conflit qui a déchiré la région dans les années 1990 a vu se confronter des nationalismes très virulents : le rêve de grande Serbie de Belgrade s’est confronté à la résistance croate sur un terrain de guerre bosnien. Sarajevo a vécu le plus long siège de l’histoire, 4 ans, avant la fin du conflit. Entre-temps, il y eut un génocide de musulmans, reconnu comme tel par les Nations unies, et ce à de rares exceptions strictement définies par le droit international, de la population de Srebrenica par les Serbes. Près de 8 000 musulmans seront exterminés sur le champ de bataille en 1995. Les premiers djihadistes européens, au sens de ceux que nous connaissons actuellement, investiront très rapidement la région dans les années 1990, au nom d’une défense de l’islam contre l’orthodoxie serbe et son rêve de Grande Serbie qui remonte à des siècles.

Deuxièmement, la fin de la guerre et les accords de Dayton en 1995 verront la présence de la coalition menée par l’Otan et les Américains s’installer fermement dans la région pour restaurer une part de paix. Mais le symbole même de l’écrasement des musulmans en Bosnie n’a certainement pas disparu et n’a jamais été vengé. Année après année, les Etats-Unis vont se retirer.

Troisièmement, et ce parallèlement, après la fin de la guerre, Arabie saoudite et Pakistan vont investir le pays pour inonder la population de leur idéologie. Lorsque l’on se rend à Sarajevo aujourd’hui, on est immédiatement frappé par le style des mosquées flambant neuves qui n’ont rien à voir avec un style maghrébin ou « européen ». En 2011, on parlait de près de 3 000 islamistes dangereux. Aujourd’hui, les rangs vont se gonfler. L’idéologie salafiste s’est implantée dans la région, sur un terreau fertile d’humiliation et de massacres. Pour autant, aucune mosquée ne semble être sous le contrôle des salafistes. Tout le paradoxe. Il faut rappeler que l’islam des Balkans est plutôt sunnite d’inspiration libérale. Très souples avec les intégrismes, les autorités bosniennes avaient serré la vis après le 11-Septembre. Pour autant, le symbole puissant pourrait l’emporter sur la réalité molle encore à l’heure actuelle. Mais comment feront-ils face à l’arrivée des djihadistes du terrain moyen oriental qui préféreront venir ici plutôt que rentrer en France, en Belgique ou ailleurs ?

Des sites stratégiques

Daech est mort, vive Daech. Les franchises sont déjà nombreuses, depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’à l’Asie du Sud Est. Les djihadistes aiment revenir à leurs premières amours : l’Algérie, l’Afghanistan, l’Irak. Mais également sur des terrains plus neufs : c’est le cas des anciens pays décolonisés aux structures étatiques très faibles comme le Mali, mais aussi de l’Indonésie ou des Philippines. Quid des Balkans ? Beaucoup de jeunes qui ont déserté la Syrie et l’Irak, se retranchent petit à petit sur d’autres sites stratégiques qui peuvent perpétuer la cause djihadiste sur des motifs antioccidentaux. Il faut bien reconnaître que les Balkans sont encore quelque peu sous-exploités idéologiquement et symboliquement. Le génocide de Sreberenica a de quoi être encore largement réexploité pour mobiliser des centaines d’individus, ou déclencher de nouvelles vocations, qui n’auront pu accomplir leur rêve en Syrie. Ce qui est sûr c’est que contrairement à ce que certains pensent, la menace se rapproche de nous. Elle ne s’éloigne certainement pas après l’éphémère Etat islamique. Au contraire, les combattants de Daech ont prouvé qu’un début de renaissance était possible. Il suffit juste de renouveler l’opération tout autour du bassin méditerranéen en démultipliant la menace. La main-d’œuvre locale et désœuvrée en Europe ne manque pas. Rien n’a été réglé à ce stade pour rendre tous les Européens plus égaux entre eux.

Le 15 février 2016, la Bosnie Herzégovine a déposé sa candidature à l’Union européenne. Il vaudrait mieux lui accorder une attention toute particulière. Démographiquement, elle ne pèse rien au regard du vieux continent européen, mais écartée, elle pourrait devenir un foyer actif de contestation et de radicalisation. Le parallèle avec la Turquie serait peut-être trop rapide, mais intégrer la Serbie qui est passée par des phases bien compliquées en termes de violence politique et ne pas intégrer la Bosnie, serait un mauvais signal lancé aux 50 % de musulmans du pays.

DOCTEUR EN SCIENCES POLITIQUES/ CONSULTANT INTERNATIONAL/ INTERNATIONAL CONSULTANT/ RELATIONS EUROMEDITERRANEENNES