La question migratoire, l’enjeu numéro un des relations internationales de ce siècle

Notre espace contemporain poursuit l’œuvre engagée par l’homme depuis des millénaires: couper, casser, rompre, diviser, exclure.

24/02/2018 07:00 CET | Actualisé 24/02/2018 16:42 CET

HANI AMARA / REUTERS
La question migratoire, l’enjeu numéro un des relations internationales de ce siècle.

« La Méditerranée a été une arène, un champ clos où, durant trente siècles, l’Orient et l’Occident se sont livré des batailles. Désormais la Méditerranée doit être comme un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu’ici divisés. La Méditerranée va devenir le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident. »

Michel Chevalier (1806-1879)

Ce texte extrait d’une série d’articles publiés sous le titre Le Système de la Méditerranée, du saint-simonien Michel Chevalier a été écrit en 1832. Près de deux siècles plus tard, nous n’avons guère malheureusement avancé. Des flots d’hommes malheureux ont quitté leur pays pour rejoindre des terres hostiles qui ne veulent pas vraiment d’eux. La Méditerranée est devenue un cimetière marin, l’Europe un manoir hanté de morts-vivants. D’un côté, paraît-il, l’Orient, de l’autre l’Occident.

La rupture entre les deux mondes avec la Méditerranée en tant que frontière infranchissable ne serait en effet que pur artifice, fournissant à des centaines de milliers d’hommes de simples identités de papier. Il y a sûrement de cela dans une région qui fut toujours en construction et sous tension. Il paraît clair que seule la paix en Méditerranée conduira à la paix universelle, pour reprendre les termes des saint-simoniens. La paix en Orient amènera la paix en Occident, et vice versa.

Notre espace contemporain poursuit l’œuvre engagée par l’homme depuis des millénaires: couper, casser, rompre, diviser, exclure. L’Europe s’est construite dans un système inclusif, ne faisant qu’exclure d’autres populations, les rendant quelque part plus jalouses ou rivales chaque jour. Le monde arabo-musulman est éternellement à la recherche de son unité.

En attendant, ce sont « leurs » réfugiés qui sont dans « notre » Europe. Quelque part, ce sont aussi « nos » réfugiés, car nous portons une responsabilité entière et universelle à la gestation et l’alimentation de tous ces conflits moyen-orientaux. C’est par l’unité, que chacune des parties rejette, que le chemin se tracera vers ce que Kant appelait la paix perpétuelle. Aider ces hommes ici est non seulement une nécessité mais un devoir; les aider par la suite à rentrer dans leurs pays pacifiés aussi. Leurs terres sont pour le moment dévastées comme le fut Troie à l’issue de terribles combats.

À l’instar d’Ulysse, le personnage d’Homère, les millions de réfugiés d’aujourd’hui ne pourront oublier leurs terres d’hier. C’est un déracinement qui n’existe que physiquement. La tête reste ailleurs. Il faut être particulièrement cynique pour brandir l’étendard de la menace de l’immigration, lorsque l’on voit la capacité d’absorption des pays arabo-musulmans, comme si l’Europe était encore aujourd’hui un eldorado économique dont tout le monde rêve! Symbole: la peur migratoire a explosé depuis la crise mondiale de 2008.

Que dire de ceux qui pensent encore que l’on quitte son pays de gaieté de cœur? Et comment ne pas penser à ceux qui restent au pays et n’ont pas eu les moyens ou la force de partir? Le retour s’il survient, sera terrible: il leur faudra reconstruire une vie après avoir tout perdu. Un semblant de mort.

Les relations euro-méditerranéennes sont en plein naufrage. L’Europe est plus économique que politique, mais en comparaison, elle est encore plus politique que sociale. Les accords se signent, les organismes se créent, les partenariats se multiplient mais en réalité, ne devrait-on pas se satisfaire de ce qui existe déjà: le partenariat Euromed, le droit international, la convention européenne des droits de l’homme et… la déclaration des droits de l’homme. Ces quatre textes, s’ils sont respectés par toutes les parties, sont encore les meilleurs garants d’un apaisement de la situation dans la région et du chemin vers la paix. Les États-membres doivent se réengager fermement pour le partenariat Euromed et la Convention européenne des droits de l’homme.

Longtemps, la stabilité dictatoriale a rassuré les Européens. Les pays arabes ont en partie pris leur destin en main, ils doivent aller jusqu’au bout et ne pas se faire confisquer les fruits d’un combat durement mené. Aujourd’hui, faire confiance en la démocratie au Moyen-Orient est une gageure, mais elle sera gage pour les Européens d’une véritable confiance en son propre système politique également. Car faut-il rappeler les propos d’Aristote qui faisait de la démocratie « le moins mauvais des régimes »? L’Europe se radicalise et n’est pas toujours un modèle de démocratie. Loin s’en faut. Il suffit de citer les dérives de la Hongrie avec le gouvernement de Viktor Orban, la montée des nationalismes et extrémismes régionaux depuis quelques années, ou la flambée du Front national en France. L’Europe doit se repenser, privilégier l’intensité et le renforcement à l’élargissement et à la dissolution. Elle doit refondre sa politique de voisinage, et trouver une issue à cette tendance à la schizophrénie: une large partie continuant à regarder vers l’est de l’Europe, une autre vers la Méditerranée. Cette divergence n’est pas incompatible mais parce que ce clivage résulte des divergences du couple franco-allemand, l’Europe doit permettre l’émergence de nouveaux pôles d’influence, d’équilibre et de décision. Il n’est pas illogique que le sort des relations de l’Europe avec la Méditerranée soit pris en main par des pays qui ont au moins enfin une frontière directe avec celle-ci.

Il est urgent de réfléchir à une nouvelle coopération entre le Nord et le Sud, totalement revue et corrigée, pour sortir de la logique du robinet et inscrire cette dynamique d’échange dans un rapport win-win pour les deux parties. Cela sous-tend bien entendu, toujours dans cette quête d’unité pour le Vieux Continent et le monde arabo-musulman, une large réflexion sur le dessein européen en Orient et le dessein oriental en Europe. Les réfugiés qui se répartissent sur le Vieux Continent sont aujourd’hui ce trait d’union. Et la résolution une solution pérenne à ce drame humain en Méditerranée constituerait à coup sûr, si elle réussit, et elle n’a d’autre choix que de réussir, un nouveau laboratoire exportable et « mondialisable » de la dignité humaine. De là sont partis les droits de l’homme et la démocratie. De là leur respect doit se poursuivre. Il n’y a pas de raison que des abîmes de la Mare Nostrum ne naissent pas à nouveau de nouveaux grands idéaux humains.

https://www.huffingtonpost.fr/sebastien-boussois/la-question-migratoire-l-enjeu-numero-des-relations-internationales-du-siecle-a-venir_a_23368168/