Intégration méditerranéenne et désintégration de la question euroarabe

La coopération euro méditerranéenne viserait entre autres à l’intégration régionale, et au développement de synergies autour de la culture, l’éducation, la recherche, la science. Elle viserait les échanges entre pays du nord et pays du sud, mais également entre pays du sud eux mêmes. Lorsque l’on parle d’intégration méditerranéenne, il y a une question qui ne trouve pas de réponse depuis plus de 60 ans et qui réflète l’idée même que l’intégration euro-méditerranéenne a soit échoué parce qu’elle n’a pas résolu cette question historique, soit qu’elle peut tourner sans elle avec une plaie ouverte au coeur même de celle ci en l’ignorant largement et en vivant quasiment dans une sorte de myopie qui lui serait bénéfique. C’est bien sûr la question israélo-palestinienne, avec laquelle « on fait », ou « on fait sans ». Et qui bien sûr condamne en réalité largement le succès d’une intégration méditerranéenne des peuples.

C’est avant tout une désintégration régionale autour de cette question, et une désintégration internationale

En réalité, ce qui s’est passé cet été 2014, comme lors des précédentes guerres de Gaza, mais globalement ses 60 dernières années, est le reflet de plusieurs choses liés à l’union européenne, lié à la méditerranée, liés aux Occidentaux de manière globale, liés aux Arabes en particulier. La guerre a Gaza de l’été dernier a fait près de 2500 morts palestiniens surtout des civils, une cinquantaine israéliens surtout des soldats, près de 200 000 déplacés, et provoqué la mort de 800 enfants. L’impuissance mondiale, à temporiser la réaction israélienne, l’absence totale européenne à se positionner mais surtout agir et se présenter en tant que médiateur incontournable face aux Etats-Unis par exemple, l’ambiguité arabe historique autour de la question palestinienne et le tropisme de certains d’entre eux « en paix » en faveur d’Israël comme l’Egypte revenu dans le giron d’alliances de l’État hébreu, tout cela reflète en partie l’échec de l’intégration méditerranéenne.

La « question » israélo-palestinienne depuis plus de 60 ans c’est avant tout la défaite de la communauté internationale : et on le voit tout récemment encore dans cet écart de parole et d’acte concernant la reconnaissance de l’État de Palestine aux Nations unies en 2012 d’un côté et l’incapacité de soutenir la réalisation d’un véritable Etat sur le terrain, condamné par la colonisation israélienne contre laquelle rien ne semble possible ; on l’a vu en Méditerranée même avec l’UPM qui a échoué en partie sur cette question israélo-palestinienne et l’impasse autour d’une position et action commune des 43 pays du nord et pays du sud. C’est aussi donc la défaite des Européens, qui ne parviennent pas à exister dans le concert des nations entre des médiateurs incontournables jusque maintenant, les USA, au coeur du quartette, ou face à des médiateurs régionaux comme l’Egypte.

Enfin, c’est la défaite arabe, à partir du moment bien sûr où de puissants acteurs de ce monde politique, culturel, et social, reviennent dans un rapport de paix mais surtout de coopération fort avec l’État hébreu, objet de discorde par excellence. Or l’intégration régionale est favorisée bien évidemment à partir du moment où il n’y a pas de conflit ouvert, et l’on se pose tous en permanence la question lorsque l’on s’embarque dans un projet euro-méditerranéen : soit on parvient à détourner la question entre Israéliens et Palestiniens en se focalisant par exemple sur un sous ensemble régional (UE et maghreb, UE et Golfe), soit en intégrant Israéliens et Palestiniens au risque de voir le projet capoter parce que sensibilités, susceptibilités s’enflammeront rapidement à la moindre avancée considérée comme « suspecte », en faveur d’un des deux acteurs, braquant l’autre et ses soutiens. Bref, le casse tête si l’on veut favoriser l’intégration des peuples de la méditerranée, et la construction d’une communauté des peuples.

Du processus de Barcelone à l’impasse autour de la question aujourd’hui : du politique à l’économique oui ; du politique au civil, non

Le processus de Barcelone de 1995 avait pour but de créer une zone économique prospère, une zone politique de paix, et une zone culturelle foisonnante et dynamique. En partant de l’économique, ce qui est un succès en matière de libéralisme depuis 60 ans en Europe et depuis Barcelone entre Nord et Sud, on espérait un succès et une intégration politique forte. On connaît le résultat : des accords d’association privilégiés entre l’UE et la Palestine (donnant un vrai rôle politique à l’OLP à l’époque), et surtout avec Israël (depuis pile 20 ans et aujourd’hui le second partenaire de l’UE en méditerranée SIC) qui font l’objet de polémiques, tensions, réhaussement permanent au point que certains se demandent si Israël ne fait déjà pas partie de l’UE. Ca c’est un ‘succès » pour l’UE, mais n’a rien permis de faire avancer de façon bilatérale et globale. Cela questionne les tenanciers de l’argument de la paix économique avant tout entre Israéliens et Palestiniens pour parvenir à la paix, surtout lorsque de tels privilèges sont accordés à Israël en dépit du bon sens et je dirai presque du droit international (, gouvernement d’extrême droite aux relents nationalistes racistes xéonophobes limite apartheid selon John Kerry, produits des colonies, campagne BDS contre l’accord d’association Israël UE virulent). Et le blocage israélo-palestinien,  est bien demeuré le principal blocage au succès du processus de Barcelone, près de 20 ans plus tard, après l’assassinat de Rabin, après la seconde intifada, après l’échec des négociations de camp David, après trois guerres à Gaza, la situation économique bien sûr s’en ressent aussi sur le terrain : crise économique majeure en Israël qui sera la nouvelle bombe à retardement pour le pays et Palestine sous perfusion des subventions internationales (UE premier bailleur de fonds à 60 % qui fait que tout ce que détruit Israël en général dans ses guerres est souvent européen : exemple de l’aéroport international de Gaza en 2008) et fausse dynamique de croissance observée il y’a quelques années ou quelques originaux arrivaient à parler de « miracle palestinien » (à Rammalah bulle spéculative misant sur la paix un jour et la capitale à ramallah dans le pire des cas en opposition avec la situation dans le reste des Territoires de la Palestine), avec une croissance à deux chiffres, mais sans grande réalité. Pourtant l’intégration politique pourrait passer par l’économique, comme l’ont suggéré cet été certains intellectuels en Israël comme l’ancien député Daniel Bensimon, qui suggérait qu’Israël supprime le blocus, reconstruise Gaza et développe les échanges économiques directs entre Gazaouis et Israéliens, un bon moyen d’éviter une nouvelle guerre, et une étape vers la relance d’un processus global de négociation. Evidemment, rien, et une guerre qui a couté cher à Israël, une guerre ratée, une de plus, et une reconstruction qui va bénéficier unilatéralement via la communauté internationale, à Israël qui fournira les matérieux, et les moyens pratiques de la reconstruction.

A mon avis, il sera difficile de faire sans, mais tant que le processus de paix ne sera pas au moins relancé, et on est à des années lumières depuis plus de dix ans (je rappelles qu’à l’heure actuelle, il n’y a plus aucune forme de négociation ouverte, ni même secrête), il sera difficile de faire avec pour accélérer cette intégration méditerranéenne et le dialogue politique. L’intégration méditerranéenne suppose quelques harmonisations politiques sans extrémisme, or la situation politique israélo-palestinienne est dans la radicalisation et ce des deux côtés depuis plus de vingt ans. L’intégration méditerranéenne suppose un terreau culturel commun, et c’est peut être tout la difficulté de percevoir en Israël et en Palestine, cet élément de compatibilité : la majorité des juifs ayant fait l’État d’Israël comme ceux qui dirigent le pays depuis 60 ans, ont un état d’esprit occidental, plutôt européen (un pays pensée en Europe, construit par des Européens dans un monde inconnu et oriental).

La nation c’est comme disait Renan, ce lien non visible, ce lien magique, entre des personnes qui ont une volonté, un intérêt à vivre ensemble. C’est avant tout de l’affectif et du sensitif, du culturel bien sur, mais de l’émotionnel. La question entre Israéliens et Palestiniens nous touche tous, au plus profond, nous avons tous un avis, même ceux qui n’y connaissent rien, nous nous positionnons en Europens en faveur des uns et des autres, nous influençons et malheureusement souvent participons à la dégradation des relations entre les deux communautés ; mais si nous commencions peut être nous au Nord, par ne rien faire justement, et laisser en local et en régional les pays du Sud s’investir dans le sujet, un médiateur purement régional plutôt qu’américain ou occidental, si nous prenions du recul par rapport à des décennies d’ingérence, détruisant par là même le lien naturel entre ces gens qui sont condamnés à vivre ensemble les uns et les autres, peut être que le règlement avant tout politique de cette question avant tout humaine, permettre à ces deux peuples de se faire face et se regarder de nouveau pour avancer ensemble. En Europe, les Balkans ont toujours été la poudrière des relations entre Européens, et de l’intégration européenne. Quand on a fait l’Europe au sortir de la 2nde guerre mondiale, c’était pour défendre le plus jamais ca : manque de bol, une guerre a eu lieu au coeur même de l’Europe au début des 90’s, un génocide même (Srebrenica contre les musulmans). Les relations euro-méditerranéennes sont malheureusement pourries par la question israélo palestinienne, parce que ce modus vivendi, cette façon de penser européenne israélienne ne veut pas s’adapter à l’environnement régional qui la cerne. Vivre en résistance permanente, ce n’est pas s’intégrer, être intelligent c’est avant tout s’adapter. C’est peut être alors plus aux Israéliens forgés à la sauce occidentale, de faire un plus grand effort de compréhension

Le changement récent à la tête de la diplomatie européenne, avec Mme Federica Mogherini, peut il changer qqch dans l’approche européenne de la question israélo-palestinienne d’un point de vue politique et concret ? Après l’inertie de la baronne Catherine Ashton, les dernières positions de Mogherini sur la nécessité d’un Etat palestinien ne sont qu’un rappel de la déclaration de Venise, des années 1980, et de déclarations ultérieures. Dans le même temps, on cherche en permanence à rehausser l’accord d’association avec Israël, ce que les ONG propalestinienne dénoncent. A quand la fin de l’hypocrisie ? Si ca ne passe pas par le politique, ca peut passer par le peuple mais pas suffisant : les manifestations contre la guerre unilatérale d’Israël à Gaza cet été, ont eu lieu partout en Europe (Irlande, France, Suède, etc) et fortement aux USA, et toujours très peu dans le monde musulman (Indonésie, Turquie, Bahrein). Le 10 août 2014, Tahar Ben Jellou, dans Libération cet été avait titré sa tribune « Mais que font les pays arabes pour sauver Gaza ? » C’est une question récurrente, mais surtout comme je l’ai dit, historique. IL y a le politique et il y’a le social.

La Ligue arabe ? Elle n’a pas véritablement permis d’interférer dans la question comme dans la fédération des Arabes autour d’un destin commun et d’une vision commune pour l’avenir.

« Oui, la Ligue arabe ! Quelle misère ! Quelle insignifiance et cela depuis toujours. Elle ne sert à rien. Au contraire, elle devient la scène spectaculaire des incompatibilités des uns avec les autres. Elle fait illusion et certains pensent qu’en se réunissant, en pleurant ensemble, l’état du monde changera. Oublions cette instance qui aurait pu être utile et même efficace. Mais cela fait longtemps qu’elle est damnée et n’est pas crédible.

La « civilisation arabe » ? Il y a de quoi douter.

« Depuis 1948, la Palestine a été un laboratoire de la décadence de la civilisation arabe. Il faut que tous les Etats arabes se fassent violence, oublient leurs différends et se mettent d’accord pour aider sérieusement et concrètement le peuple palestinien. Ils pourraient, par exemple, créer un fonds pour la Palestine, et que chacun contribue selon ses capacités. Il faudra sans doute s’inspirer de la solidarité juive avec Israël. Pourquoi ne pas imiter ce qu’ils font avec intelligence et savoir-faire ? Une petite partie des immenses richesses que procure l’exploitation du pétrole et du gaz dans tous les pays musulmans pourrait aider à la création d’un Etat palestinien viable et dans une continuité territoriale à côté de l’Etat d’Israël. Son développement économique répondrait aux contraintes quotidiennes que l’Etat hébreu exerce sur les populations palestiniennes. Par ailleurs, cela ferait cesser la tutelle économique doublée d’un embargo scandaleux qu’Israël impose aux territoires occupés.La responsabilité des Etats arabes est là. « 

Voilà un vrai défi lancé aux peuples méditerranéens, et qui seraient un premier succès vers une véritable intégration méditerranéenne. De là, nous nous inscrivons à nouveau dans ce « temps long » cher à Fernand Braudel, et il faudra encore beaucoup de patience.  Sans une solidarité de TOUS ces pays et peuples, autour de cette question sinon, l’intégration méditerranéenne restera une utopie.

Pour plus d’informations techniques et historiques:

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bagf_0004-5322_2005_num_82_1_2435