Prix Nobel de la Paix en Tunisie, une victoire pour l’ensemble des Tunisiens (avec Meriem Ben Lamine

En mars 2012, l’Institut Medea, avec le soutien engagé de deux députés européens, Malika Benarab Attou et Vicent Garcès, de l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée, et du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient, organisait le premier grand colloque international consacré à la Tunisie post-révolutionnaire, au sein même du Parlement européen à Bruxelles.

Avec Meriem Ben Lamine, nous pensions que c’était l’occasion idéale pour montrer aux Européens de quoi était capable la Tunisie. Les intervenants pressentis nous confirmèrent immédiatement leur désir de parler depuis Bruxelles, capitale de l’Union européenne et parfois de la désunion.

Une journée complète de débats avec des invités prestigieux et près de 150 personnes toute la journée nous rassura et sur la détermination des politiques, et sur celle de la société civile, à faire de cette « révolution » un laboratoire de la transition démocratique dans tout le monde arabe.

Parmi eux figuraient: Ridha Farhat, ambassadeur de Tunisie à l’UE, Kamel Jendoubi, aujourd’hui Ministre délégué chargé des relations avec la société civile, Bernardino Leon, à l’époque représentant de l’UE auprès des pays de la rive sud de la Méditerranée et actuel émissaire spécial des Nations unies pour la Libye, Karima Souid, députée Ettakathol, Mabrouka M’barek, députée du CPR, Zied Ladhari, député Ennhada puis porte-parole d’Ennhada et devenu Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle en 2014, Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’université de la Manouba, Vincent Geisser, chercheur à l’IFPO et à l’IREMAM, Hamrouni Nejiba, présidente du syndicat des journalistes, Helé Beji, écrivaine et président du collège international de Tunis, et Raouda Laabidi, présidente du syndicat des magistrats.

C’était une période charnière que l’Europe essayait de comprendre en dehors de toute grille d’analyse passée. Les « Tunisiens » que nous avions invités étaient venus parler aux « Européens », alors que le pays était en plein anniversaire des 56 ans de son indépendance, et que les commissions de l’Assemblée Nationale Constituante ont commencé leurs travaux de rédaction de la Constitution.

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En janvier 2014, une Constitution avec ses avancées et ses lacunes a été votée et a donné naissance à la deuxième république tunisienne. Désormais, la Tunisie n’est plus dans le transitoire. Cette nouvelle phase a donné lieu à des élections présidentielles et législatives en 2014 et l’Assemblée Nationale Constituante est remplacée par l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Aujourd’hui, malgré les difficultés économiques graves persistantes, malgré les assassinats politiques, malgré les attentats violents du Bardo et de Sousse, en 2015, la Tunisie reste debout et enterre seule les « Printemps arabes », qui semble ne lui avoir réussi qu’à elle-seule. Certes, il y avait un contexte favorable mais rien n’est jamais acquis: priorité à l’éducation depuis Bourguiba, fort dynamisme de la société civile, dont le quartet qui tout fait pour éviter la rupture de dialogue entre les partis politiques et que les fruits de la révolution deviennent amers et tournent à la guerre civile comme en Libye.

L’annonce du Prix Nobel au Quartet du Dialogue National tunisien est un encouragement de toute la communauté internationale pour le seul pays du monde arabe qui tient le coup. Alors, il est des prix Nobel comme des concours: le choix du vainqueur est toujours critiqué et suscite toujours pour d’autres des jalousies. C’est un fait: un prix n’est jamais parfait, pas plus qu’une démocratie, tunisienne ou pas, française ou pas, américaine ou pas. Mais ce Prix ne pourrait être remis en cause comme il l’avait été pour Barack Obama (2009) ou encore l’Union européenne (2012), qui enterrait les Grecs.

Le Comité norvégien du Nobel a donc salué la société civile, patronat, syndicat UGTT (Union Générale des travailleurs tunisiens), Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et Ordre National des avocats tunisien qui ont lancé le Dialogue national en 2013 alors que les troubles sociaux et les attentats politiques se multipliaient dans tout le pays. Ce quartet a réussi où d’autres ont échoué, il a pu mettre autour de la même table vingt et un parti politique sur vingt-quatre et avoir leur adhésion sur une feuille de route consensuelle.

L’Union européenne s’empressa de saluer les « lauréats qui montrent la voix », bien qu’elle soit toute concentrée sur la situation en Libye et la tentative de formation du gouvernement d’unité nationale. Le Président François Hollande déclara lui suite à l’annonce que ce Prix Nobel est « un encouragement pour encore soutenir la Tunisie dans les épreuves qu’elle traverse ». Les mêmes félicitations arrivent de différents pays arabes.

Le quartet doit poursuivre son rôle avant gardiste et prouver que ce Prix est bien mérité en responsabilisant l’Etat et les politiques à retrouver les assassins de deux figures politiques majeures: Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, à rétablir les négociations entre le secteur privé et public, et enfin à trouver une issue au conflit né à la suite de la proposition du Président de la République d’un projet de loi sur la réconciliation économique et financière nationale qui divise les Tunisiens de nouveau.