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La question migratoire, l’enjeu numéro un des relations internationales de ce siècle

Notre espace contemporain poursuit l’œuvre engagée par l’homme depuis des millénaires: couper, casser, rompre, diviser, exclure.

24/02/2018 07:00 CET | Actualisé 24/02/2018 16:42 CET

HANI AMARA / REUTERS
La question migratoire, l’enjeu numéro un des relations internationales de ce siècle.

« La Méditerranée a été une arène, un champ clos où, durant trente siècles, l’Orient et l’Occident se sont livré des batailles. Désormais la Méditerranée doit être comme un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu’ici divisés. La Méditerranée va devenir le lit nuptial de l’Orient et de l’Occident. »

Michel Chevalier (1806-1879)

Ce texte extrait d’une série d’articles publiés sous le titre Le Système de la Méditerranée, du saint-simonien Michel Chevalier a été écrit en 1832. Près de deux siècles plus tard, nous n’avons guère malheureusement avancé. Des flots d’hommes malheureux ont quitté leur pays pour rejoindre des terres hostiles qui ne veulent pas vraiment d’eux. La Méditerranée est devenue un cimetière marin, l’Europe un manoir hanté de morts-vivants. D’un côté, paraît-il, l’Orient, de l’autre l’Occident.

La rupture entre les deux mondes avec la Méditerranée en tant que frontière infranchissable ne serait en effet que pur artifice, fournissant à des centaines de milliers d’hommes de simples identités de papier. Il y a sûrement de cela dans une région qui fut toujours en construction et sous tension. Il paraît clair que seule la paix en Méditerranée conduira à la paix universelle, pour reprendre les termes des saint-simoniens. La paix en Orient amènera la paix en Occident, et vice versa.

Notre espace contemporain poursuit l’œuvre engagée par l’homme depuis des millénaires: couper, casser, rompre, diviser, exclure. L’Europe s’est construite dans un système inclusif, ne faisant qu’exclure d’autres populations, les rendant quelque part plus jalouses ou rivales chaque jour. Le monde arabo-musulman est éternellement à la recherche de son unité.

En attendant, ce sont « leurs » réfugiés qui sont dans « notre » Europe. Quelque part, ce sont aussi « nos » réfugiés, car nous portons une responsabilité entière et universelle à la gestation et l’alimentation de tous ces conflits moyen-orientaux. C’est par l’unité, que chacune des parties rejette, que le chemin se tracera vers ce que Kant appelait la paix perpétuelle. Aider ces hommes ici est non seulement une nécessité mais un devoir; les aider par la suite à rentrer dans leurs pays pacifiés aussi. Leurs terres sont pour le moment dévastées comme le fut Troie à l’issue de terribles combats.

À l’instar d’Ulysse, le personnage d’Homère, les millions de réfugiés d’aujourd’hui ne pourront oublier leurs terres d’hier. C’est un déracinement qui n’existe que physiquement. La tête reste ailleurs. Il faut être particulièrement cynique pour brandir l’étendard de la menace de l’immigration, lorsque l’on voit la capacité d’absorption des pays arabo-musulmans, comme si l’Europe était encore aujourd’hui un eldorado économique dont tout le monde rêve! Symbole: la peur migratoire a explosé depuis la crise mondiale de 2008.

Que dire de ceux qui pensent encore que l’on quitte son pays de gaieté de cœur? Et comment ne pas penser à ceux qui restent au pays et n’ont pas eu les moyens ou la force de partir? Le retour s’il survient, sera terrible: il leur faudra reconstruire une vie après avoir tout perdu. Un semblant de mort.

Les relations euro-méditerranéennes sont en plein naufrage. L’Europe est plus économique que politique, mais en comparaison, elle est encore plus politique que sociale. Les accords se signent, les organismes se créent, les partenariats se multiplient mais en réalité, ne devrait-on pas se satisfaire de ce qui existe déjà: le partenariat Euromed, le droit international, la convention européenne des droits de l’homme et… la déclaration des droits de l’homme. Ces quatre textes, s’ils sont respectés par toutes les parties, sont encore les meilleurs garants d’un apaisement de la situation dans la région et du chemin vers la paix. Les États-membres doivent se réengager fermement pour le partenariat Euromed et la Convention européenne des droits de l’homme.

Longtemps, la stabilité dictatoriale a rassuré les Européens. Les pays arabes ont en partie pris leur destin en main, ils doivent aller jusqu’au bout et ne pas se faire confisquer les fruits d’un combat durement mené. Aujourd’hui, faire confiance en la démocratie au Moyen-Orient est une gageure, mais elle sera gage pour les Européens d’une véritable confiance en son propre système politique également. Car faut-il rappeler les propos d’Aristote qui faisait de la démocratie « le moins mauvais des régimes »? L’Europe se radicalise et n’est pas toujours un modèle de démocratie. Loin s’en faut. Il suffit de citer les dérives de la Hongrie avec le gouvernement de Viktor Orban, la montée des nationalismes et extrémismes régionaux depuis quelques années, ou la flambée du Front national en France. L’Europe doit se repenser, privilégier l’intensité et le renforcement à l’élargissement et à la dissolution. Elle doit refondre sa politique de voisinage, et trouver une issue à cette tendance à la schizophrénie: une large partie continuant à regarder vers l’est de l’Europe, une autre vers la Méditerranée. Cette divergence n’est pas incompatible mais parce que ce clivage résulte des divergences du couple franco-allemand, l’Europe doit permettre l’émergence de nouveaux pôles d’influence, d’équilibre et de décision. Il n’est pas illogique que le sort des relations de l’Europe avec la Méditerranée soit pris en main par des pays qui ont au moins enfin une frontière directe avec celle-ci.

Il est urgent de réfléchir à une nouvelle coopération entre le Nord et le Sud, totalement revue et corrigée, pour sortir de la logique du robinet et inscrire cette dynamique d’échange dans un rapport win-win pour les deux parties. Cela sous-tend bien entendu, toujours dans cette quête d’unité pour le Vieux Continent et le monde arabo-musulman, une large réflexion sur le dessein européen en Orient et le dessein oriental en Europe. Les réfugiés qui se répartissent sur le Vieux Continent sont aujourd’hui ce trait d’union. Et la résolution une solution pérenne à ce drame humain en Méditerranée constituerait à coup sûr, si elle réussit, et elle n’a d’autre choix que de réussir, un nouveau laboratoire exportable et « mondialisable » de la dignité humaine. De là sont partis les droits de l’homme et la démocratie. De là leur respect doit se poursuivre. Il n’y a pas de raison que des abîmes de la Mare Nostrum ne naissent pas à nouveau de nouveaux grands idéaux humains.

https://www.huffingtonpost.fr/sebastien-boussois/la-question-migratoire-l-enjeu-numero-des-relations-internationales-du-siecle-a-venir_a_23368168/

 

Sept raisons qui expliquent les attentats de Barcelone, paru sur le Huff Post

7 raisons qui expliquent pourquoi Barcelone est l’un des centres du djihadisme en Europe

C’est le carrefour de tous les possibles de la cause djihadiste

 20/08/2017 07:00 CEST | Actualisé 21/08/2017 09:37 CEST

SERGIO PEREZ / REUTERS
7 raisons qui expliquent pourquoi Barcelone est l’un des centres du jihadisme en Europe.

Le 17 août 2017, l’Espagne qui était épargnée jusque là par les attentats qui endeuillent l’Europe depuis plus de deux ans, n’a pas échappé à une certaine forme de destin commun. Pourquoi, ce pays, qui n’avait pas connu de violents attentats liés à l’islamisme violent sur son sol depuis les terribles attentats de Madrid à la gare d’Atocha en 2004 sur les trains de banlieue faisant 191 morts, est de nouveau touché en son coeur touristique, Barcelone? Quelques pistes de réflexion peuvent être évoquées sans être à ce jour définitives, et tant que l’enquête n’aura pas porté l’ensemble de ses fruits.

  • La première raison serait probablement de dire que les attentats aveugles, pilotés par Daech ou devancés par quelques « bons » soldats inspirés et convaincus par son idéologie, ont justement pour but d’être aveugles, de finir par toucher le plus grand nombre ou des cibles symboliques, un peu partout sur le Vieux continent. L’objectif de l’État islamique, ou ce qu’il en reste, est de parvenir à semer les graines de l’enfer où iront tous les mécréants adeptes d’un mode de vie qu’ils considèrent comme délurés; en gros, tous les pays européens. Le but ultime est de polariser nos sociétés en agitant le chiffon rouge de la guerre civile entre Européens non-musulmans et musulmans silencieux, stigmatisés pour certains, complices pour d’autres.
  • La seconde raison est peut-être la force du symbole. Daech cherche à nous plonger corps et âme dans le choc de civilisations tant fantasmé par Samuel Huntington. Le retour des « guerres de religions », dans un contexte de réenchantement spirituel du monde depuis les années 1970, qui opposeraient les musulmans aux chrétiens serait une des clés de cette transformation de la géopolitique mondiale. Si Daech en difficulté se repositionne, en développant des « franchises » en Indonésie (premier pays musulman au monde), ou dans les pays d’Afrique centrale où les tensions entre musulmans et chrétiens ont déjà provoqué le chaos (Soudan par exemple), ce n’est pas un hasard. Quant à l’Espagne? Il ne peut pas viser meilleure symbolique « catholique » que ce pays en Europe, responsable de la fin d’un des grands califats du monde arabe, celui d’Al Andalous du grand Haroun El Rachid avec la Reconquista d’Isabelle: spécificité catholique qui n’a de cesse de se renforcer en Espagne justement peut être par effet de levier. Et ce, sur la seule terre qui fut arabe en Europe.
  • Troisième raison: Barcelone, son tourisme, sa vie festive occidentale, son ouverture gay friendly bien connue, la grande cité balnéaire gay de Sitjes également réputée mondialement, font de la ville de Gaudi, un parangon de l’anti-modèle. Encore plus réputée que Madrid pour son goût de la fête, elle attire les noceurs, les adeptes des paradis artificiels comme du commerce sexuel. Le quartier de Las Ramblas où s’est déroulé l’attentat du 17 août dernier, faisant 14 morts et plus de 80 blessés, est le coeur géographique névralgique de cette vie honnie par les djihadistes. Voilà une ville parmi tant d’autres, qui symbolise un cocktail qui a de quoi largement contrarier le souhait de société mondiale purifiée de ses vices, par Daech.
  • D’un point de vue international, et c’est la quatrième raison, l’Espagne est engagée dans la coalition internationale contre Daech. Si elle ne fournit pas un appui militaire direct dans les bombardements, elle a concouru depuis 2014 à la formation en Irak de près de 20 000 militaires en envoyant 300 instructeurs. De quoi donner du fil à retordre à Daech qui, dans sa revendication de l’attentat du 17 août 2017, justifiait bien son action par l’action de l’Espagne, mais était aussi un avertissement à tous les autres pays candidats ou déjà participants à la coalition. Côté syrien, Madrid apporte son concours à celle-ci par le biais d’une aide financière importante.
  • Cinquième raison: la situation économique et sociale en Espagne depuis 2008 a mis dans la difficulté des milliers d’immigrés marocains saisonniers, donc leurs familles au Maroc ou ailleurs, venant dans le sud de l’Espagne pour participer aux récoltes. Sans préjuger à l’heure actuelle de l’étendue des profils impliqués dans la filière et ses ramifications liée à l’attentat de Barcelone, la dimension marocaine d’un certain nombre d’entre eux semble déjà ressortir: notamment avec Driss Oukabir, celui qui conduisait la fourgonnette sur Las Ramblas. Depuis la crise de 2008, on assiste en Espagne à une montée des tensions xénophobes, et notamment anti-marocaines. En effet, la mise en concurrence extrême des emplois saisonniers depuis ne fait pas que des heureux. Par ailleurs, on se souvient de ratonnades violentes en 2000 à El Jedido à la suite de l’assassinat de trois Espagnols par deux déficients mentaux marocains. Les tensions entre autochtones et Marocains sont persistantes depuis dix ans, pendant que d’autres sont restés sur le carreau et dans des conditions légales et économiques dramatiques. Certains jeunes ont probablement fermenté depuis dans leur coin et se sont retrouvés marginalisés, enfermés dans la petite délinquance, comme en Belgique d’ailleurs. Pourtant, le basculement au grand banditisme et au terrorisme est loin d’être évident: le chiffre des départs depuis l’Espagne vers la Syrie n’a été que de 70, contrairement à plus de 1000 pour la France par exemple, soit en réalité rapporté à la population des deux pays, dix fois moins: « Entre 1996 et 2012, 17 % des personnes condamnées ou mortes en Espagne dans le cadre d’activités liées au terrorisme jihadiste étaient de nationalité espagnole. Seulement 5 % étaient nées sur le sol espagnol ».
  • Cela nous conduit à notre sixième raison: la spécificité de la Catalogne. A l’image de la Flandre en Belgique, et pour expliquer la montée de la radicalisation plus importante et plus précoce côté flamand, il y a depuis longtemps une forte présence musulmane marocaine et pakistanaise à Barcelone. Les liens se sont naturellement tissés entre les 300 000 musulmans de Catalogne et le reste du continent, les dérives de certains aussi. Mais il y a un parallèle intéressant à faire entre ce qui s’est passé en Catalogne et en Flandre. La Catalogne par ses velléités indépendantistes a toujours favorisé les revendications identitaires et spécificités culturelles diverses, tout en écartant bien évidemment la valorisation des valeurs nationales républicaines. C’est ce qui s’est passé en Belgique: les associations marocaines ont été largement soutenues dans leur différence et identité. Mais la différence de politique au sujet de « l’intégration » de l’identité des Belgo-marocains entre Flamands et francophones a eu des effets pervers. Si la Flandre a davantage investi pour la dite-intégration, elle a renforcé le ferment culturel et identitaire marocain de manière imprévue et plus extrême que du côté francophone- où peu a été fait au début, misant sur une « intégration » et assimilation de fait. Ainsi, le communautarisme côté francophone s’est fait de l’intérieur, seul, et à l’aide d’agents extérieurs sans le concours initial des politiques: en Flandre par exemple, les autorités ont toujours soutenu le regroupement d’associations qui seraient des interlocuteurs privilégiés, ce qui n’a pas été pendant très longtemps le cas y compris à Bruxelles. Comme un effet pervers, le différentiel politique a donc renforcé un sentiment national non belge, alors que côté wallon et francophone, cette politique n’existant pas, on pourrait en déduire que le sentiment d’appartenance à l’identité belge a été mieux réussi. Ce qui expliquerait alors la plus grande radicalisation côté flamand et jusqu’aux premiers départs survenus essentiellement pour la Syrie depuis la ville flamande au nord de Bruxelles de Vilvoorde avant même le cas tant cité de Molenbeek? Est ce un hasard si longtemps on a qualifié la Catalogne, elle aussi nationaliste en rébellion face à Madrid, de « plaque tournante du djihadisme »? À tel point que pour la CIA dès 2010, la Catalogne était « le foyer du djihadisme européen », à la croisée du Maghreb et du coeur de l’Europe avec la France. Elle avait même ouvert un bureau d’opérations anti-djihad à… Barcelone. La politique antiterroriste en Espagne a été très active notamment à Barcelone depuis 2015 et les attentats de Paris et de Bruxelles. Depuis, l’activité des adeptes de Daech a glissé un peu plus vers le sud, notamment à Valencia et Alicante. Depuis 2012, près des 3/4 des arrestations d’islamistes radicaux qui ont eu lieu en Espagne, l’ont été en Catalogne.
  • Dernière raison et pas des moindres: les liens politiques entre l’Espagne et le Maroc découlent souvent des éléments énoncés plus haut. Ces relations ont connu des hauts et des bas. Même si un partenariat stratégique et durable existe entre les deux pays, il ne faut pas oublier que Madrid joue quand même le rôle de garde-fou à l’entrée de l’Europe. Et de un car Ceuta et Melilla, ces enclaves espagnoles en territoire marocain, représentent une porte d’entrée convoitée, et pressurée par l’immigration illégale. L’Union européenne ne parvient pas à juguler ce flux. Exemple: le 25 juillet 2017, un policier espagnol avait été agressé au couteau par un homme ayant franchi la frontière à Melilla. Deuxièmement, car le trafic de hachisch entre l’Europe et le Maroc, premier producteur mondial, passe soit par la Belgique et le port d’Anvers (…), soit par l’Espagne, où une partie de l’immigration marocaine représente un puissant relais, comme ce fut le cas en Belgique dès les années 1960. Sur le terrain de la petite délinquance, Daech a su exploiter le profil de nombre de jeunes rodés à se faufiler entre les mailles de la police. Certains ont cédé aux sirènes de l’argent et de la reconnaissance facile, par l’appel à la mort des autres ou par la leur. Barcelone devient alors la grande ville internationale incontournable sur le chemin de l’Europe pour un certain nombre de ces délinquants.

La question qui demeure, tout comme ce fut le cas à Bruxelles: pourquoi s’en prendre aux villes qui représentent pourtant pour ces filières une arrière-base idéale d’où mener d’autres opérations à l’avenir en toute discrétion malgré les opérations policières?

Du même auteur: France Belgique la diagonale terroriste, avec Asif Arif, editions Jourdan La Boite a Pandore, 2016

Paru dans Libération le 10 avril 2017 avec Hasna Hussein

http://www.liberation.fr/debats/2017/04/09/daech-l-armee-mediatique-gagne-du-terrain_1561570

Nous ne pouvons que nous réjouir du recul historique de Daech sur le sol syrien et irakien. Mais sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, il faut réaliser qu’une fois Daech éradiqué sur le terrain, nous allons nous retrouver confrontés à plusieurs menaces qui vont rapidement croître de manière exponentielle.

Faut-il alors se contenter de se satisfaire, comme beaucoup, d’une future victoire de la coalition ? Non, absolument pas. Bien sûr, l’Etat islamique (EI) se bat pour la survie territoriale de son califat. Certes, depuis le discours de proclamation dudit califat le 4 juillet 2014, Al-Baghdadi a bataillé pour maintenir ses positions contre la coalition occidentale. L’incessante bataille de Palmyre, prise, perdue, reprise, et finalement reperdue le 14 janvier, en est un parfait exemple. Des 91 000 km² conquis de 2012 à la naissance officielle de Daech sur la terre de Châm («Levant»), soit l’équivalent du Portugal ou de la Hongrie, l’organisation avait déjà perdu près de 15 % de son territoire en 2015. Puis le processus s’est accéléré. Aujourd’hui, le régime syrien, les Kurdes, et les forces occidentales ont reconquis Kobané, Dabiq, Minbej, Fallouja, Ramadi, Palmyre, Alep et probablement bientôt Mossoul. L’organisation terroriste a perdu depuis début 2016 plus d’un quart de son territoire initial. Elle restera dans l’histoire pour avoir provoqué une des plus graves crises humanitaires mondiales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais le plus inquiétant pour le monde occidental, pour le monde arabe à majorité musulmane et toute la planète, en réalité, est que plus le territoire de Daech se fait peau de chagrin, plus son idéologie se répand de manière directe ou insidieuse. Jamais nous n’avons connu autant d’attentats. Ce n’est pas tant le signe d’une agonie que celui de nouvelles vocations, de déceptions, de frustrations suscitées par une idéologie loin d’être moribonde.

L’autre source d’inquiétude est de constater que maintenant Daech «revend» sa marque de fabrique et crée, ou est sur le point de créer des «filiales» en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie, le plus grand pays musulman, ou dans des zones conflictuelles idéales au cœur d’Etats faibles ou faillis comme dans certains pays d’Afrique centrale, en proie à de régulières tensions entre chrétiens et musulmans. De quoi promettre à terme des guerres civiles et culturelles au sein même des Etats où l’idéologie destructrice de Daech a germé. Et plus que jamais, une grande partie de cette action continue de passer par la communication et la propagande, contrairement à ce que beaucoup pensent.

Daech inonde le cybermonde avec toutes sortes de productions médiatiques des plus modernes : images et vidéos de propagande, magazines, bulletins de guerre, textes de leaders, anasheed («chants jihadistes») disponibles en une trentaine de langues : arabe, français, anglais, allemand, chinois, turc… Le groupe terroriste poste en moyenne entre trois et quatre nouvelles vidéos de propagande par jour. La qualité est toujours au rendez-vous.Le professionnalisme médiatique de Daech s’inspire largement des arts et des nouvelles techniques de productions cinématographique et télévisuelle.

Les vidéos de Daech utilisent largement les effets spéciaux en image (3D) et en son (souvent des anasheed). Pour les images, il s’agit souvent d’une combinaison entre des clichés d’abord diffusés par les géants des médias d’information (CNN, Euronews, BBC, Al-Jezira, BFMTV, etc.) puis détournés, ou des images issues de la pop culture (de films tels que Saw, Matrix, American Sniper ou de videogames tels que Call of Duty, Mortal Kombat X et Grand Theft Auto) ; ou même des images tournées par les propres équipes médias de l’organisation terroriste.

Le nombre et la qualité professionnelle des productions de Daech révèlent la présence d’une armée médiatique interne et externe. Daech se dote de plusieurs équipes de professionnels dans les différents bureaux ; plusieurs centaines de vidéastes, producteurs et éditeurs dirigés par plusieurs équipes de hauts responsables médias. Ce sont des gens qui possèdent des compétences acquises parfois dans des chaînes ou studios professionnels, et qui maîtrisent les dernières technologies de la communication et de l’information. Les hauts responsables médiatiques sont traités comme des «émirs», au même rang que leurs équivalents militaires, formant une classe privilégiée, avec un statut, des salaires et des conditions de vie bien au-dessus des combattants ordinaires.

Le professionnalisme et le flux continu qui caractérisent la stratégie communicationnelle de Daech révèlent aussi l’énorme budget de cette machine de propagande médiatique. Les dépenses du bureau médiatique de Raqqa sont estimées à plus de deux millions de dollars. A l’instar d’autres régimes totalitaires, cette stratégie constitue un moyen de justifier sa raison d’être, d’exercer un contrôle politique et d’assurer sa survie. Il est donc urgent de produire en masse des discours alternatifs pour contrer cette propagande néofasciste.

Hasna Hussein est auteure du carnet de recherche : http://www.cdradical.hypotheses.org/

Sébastien Boussois Chercheur en sciences politiques associé à l’Université libre de Bruxelles (ULB), spécialiste des relations euroméditerranéennes , Hasna Hussein Sociologue du genre et des médias, chercheure associée au Centre Emile-Durkheim (Bordeaux)

 

 

 

 

Bruxelles 2016, victime de la Guerre des mondes?

SÉBASTIEN BOUSSOIS, docteur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient et de la question israélo-palestinienne en particulier, enseignant en relations internationales, citoyen bruxellois depuis 8 ans. *
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Nous sommes peut-être confrontés à une guerre générationnelle plus que civilisationnelle. L’Europe est vieille, elle a peur, le reste du monde rajeunit et on ne lui fait pas confiance. Plus personne ne se comprend. Il est temps de réfléchir à un autre équilibre pour le monde.

Bruxelles se sent moche et salie. Elle vient de vivre le premier attentat suicide de son histoire. Elle vient de perdre au moins 31 de ses belles âmes qui lui avaient confié son destin. Le 15 mai 2013, je publiais un texte hommage à ma ville d’adoption, Bruxelles, que beaucoup s’acharnent à démonter, à critiquer, à dévaloriser, à maudire depuis des décennies. La ville multicolore, multiethnique, multiculturelle que des millions de touristes aiment à visiter chaque année vient d’être en quelques jours à nouveau circonscrite à son image de « Bruxellistan » et se retrouve plongée dans le noir. «  Je fais partie de ces Français ayant quitté Paris, la “plus belle ville du monde” sur laquelle il y a tout de même à redire, tant l’ancienne Lutèce fait figure de mirage esthétique, cerné par l’horreur urbanistique et visuelle de ses banlieues érigées dans les années 1960-1970. A Bruxelles, si les chaussées ne sont pas exemplaires, si les travaux sont permanents, c’est aussi la figure d’une ville qui bouge et ne reste pas installée dans ses certitudes, et vit. Elle n’a jamais prétendu d’ailleurs à rien. Ce qui ne peut qu’augurer de merveilleuses surprises. Elle ne s’est jamais laissée envahir par les tours, elle. Une ville doit vivre, et cela passe aussi par la déconstruction, la construction et la reconstruction. Comme un phénix.  » Telle une vieille dame malade affaiblie, on se doit de garder la plus belle des images d’avant le drame. Bruxelles doit résister, plus que jamais.

Car le phénix va devoir renaître de nouveau. En effet, les deux attentats de mardi à l’aéroport de Bruxelles National, une bombe au métro Maelbeek, la panique et la psychose de tous les habitants du pays tentant de rassurer leurs proches et un réseau mobile anéanti, ont eu raison d’une ville déjà affectée par le Belgium bashing depuis les attentats de Paris. La Belgique ne peut se battre seule contre ce fléau mondial. Parce que ce qu’elle vit la dépasse.

Le monde solidaire aujourd’hui avait les yeux tournés vers Bruxelles vendredi dernier lors de l’arrestation de l’ennemi numéro 1 en Europe, Abdeslam Salah, dont le rôle dans les attentats du 13 novembre à Paris n’est pas encore totalement bien ciblé. On finissait par reconnaître que la police belge avait enfin fait du bon travail pour éviter que les nids de terroristes éclosent et essaiment leur haine depuis la Syrie vers toute l’Europe. Mais nous n’étions pas dupes, sur la détermination du mal à vouloir poursuivre son œuvre. C’est chose faite malheureusement.

Ici et là-bas

Nous avons pourtant soufflé quelques instants même si nous ne nous sentions guère rassurés. Il faut dire que l’ambiance pour tout le pays, les commerces, les institutions, était plombée depuis le 13 novembre. Le niveau 3, puis 4 de sécurité dans le pays, la présence de militaires dans les rues, ne rassuraient en réalité personne. L’économie ne s’en est jamais relevée. On critiquait même l’inutilité de ce genre de mesures sécuritaires. Pouvoir de dissuasion de l’habit vert ? Peu probable. La prévention est la seule solution, en tout cas, elle est sûrement la moins mauvaise. Les renseignements belges ont bel et bien failli tout comme la coopération sécuritaire européenne. Mais comment se préserver de tels attentats aussi lâches ? C’est aujourd’hui quasiment impossible au Moyen-Orient comme en Europe désormais. C’est bien là le drame des guerres asymétriques, déclarées comme non déclarées. Là-bas comme ici.

Certains pensent déjà que l’arrestation d’Abesdlam a peut-être accéléré le déclenchement du premier attentat suicide de l’histoire du petit Etat belge à 7h50 ce mardi. Aucun expert n’en a la certitude et je m’en garderai bien. Abdeslam était gênant pour Daesh car il avait survécu et raté sa cible, il était une calamité pour les services européens. Mais la calamité, ce sont tous ceux qui rentrent radicalisés de Syrie bien sûr. Et les vocations ne manquent pas. On estime à 120 individus revenant de Syrie de véritables dangers pour l’unité du pays. Et elles ne manqueront pas devant le tel « succès » d’aujourd’hui. Ils seront encore des dizaines à vouloir se faire sauter depuis ce mardi.

Bruxelles n’est pas juste Bruxelles aujourd’hui. Des cibles visées et qui dépassent le si petit pays qu’est la Belgique. Aujourd’hui, si Bruxelles saigne et le béton fume, c’est une tragédie sans précédent à laquelle est confrontée la capitale belge, mais aussi la capitale de l’Union européenne qui agit si inhumainement avec les victimes réfugiées chez nous, mais aussi la ville qui abrite le siège de l’Otan, le pays qui porte aussi une part de responsabilité dans ce qui se passe là-bas ; le pays enfin qui continue à vendre des armes par millions aux hommes qui se déchirent loin de chez nous et qui pensait jusqu’à peu que le karma n’existait pas.

Le prix fort

Ce sont des dizaines d’hommes et de femmes qui ont probablement été déchirés à l’aéroport de Bruxelles National (Zaventem), et au métro Maelbeek. Nous n’en savons pas plus à l’heure actuelle sur d’éventuelles répliques à venir de ce séisme sans précédent, et qui pourraient encore toucher le pays. La psychose est inévitable dans une ville qui vit l’état d’urgence depuis les attentats de Paris. Nous savions que cela arriverait. Avec une froideur terrible, le Premier ministre Charles Michel annonçait lors de la conférence de presse post-attentats que venait de se passer ce que nous attendions tous. Dont acte.

Comme une fatalité, Bruxelles paie le prix de la folie du monde. Mais nous ne pouvons continuer à penser, au-delà de notre domination sur le monde depuis tant de siècles, au-delà de l’expansion pavlovienne de nos « valeurs », au-delà de notre haine de l’Islam, que tout ceci arrive par hasard. Bruxelles la modeste et la charmante est dépassée par ce poids de la géopolitique mondiale qu’elle porte sur ses épaules. C’est toute notre conception du monde et de l’Autre qui doit être revue. Bruxelles paie son ouverture, sa tolérance, sa modestie, son complexe d’infériorité. Doit-elle répondre par l’enfermement ? L’Europe paie sa fermeture, son intolérance, son arrogance, son complexe de supériorité. Bien sûr que Bruxelles ma belle a été un symbole. Le vrai travail s’il survient un jour de toutes nos grandes institutions, c’est de réfléchir autrement à ce monde, de fuir l’analyse culturaliste, et de définitivement se dire que l’équilibre du monde, qui doit relever du grand art, doit par essence se réaliser par l’équilibre de ses pôles d’influence, et non par la domination éternelle des uns sur les autres. Les larmes de Federica Mogherini mardi matin n’y feront rien. C’est de ce rejet et de cette incompréhension des drames de l’Autre que naît la frustration, la haine, le dégoût. Surtout quand le dominant continue à vanter des valeurs humaines pour les autres sans même les respecter pour lui-même. Nos démocraties ne sont pas exemplaires et il suffit de rappeler la présence de la N-VA au pouvoir en Belgique, parti raciste et xénophobe, ayant surfé de provocation en provocation depuis des années à l’égard de « tous les Autres », francophones compris. Au moins plus personne ne parle de Molenbeek depuis ce mardi. Bien sûr que le problème est plus vaste.

Assiste-t-on à une guerre civilisationnelle ? C’est peut-être finalement plutôt à une guerre générationnelle à laquelle on est confronté plus que civilisationnelle. L’Europe est vieille, elle a peur, le reste du monde rajeunit et on ne lui fait pas confiance, plus personne ne se comprend. Malheureusement, l’on est loin d’un apaisement. L’adage qui dit que si tu veux la paix, tu dois préparer la guerre, risque bien d’entraîner de nouvelles réactions de violence en chaîne.

* Dernière publication : Homère réveille-toi, ils sont devenus fous ! Le naufrage des relations euro-méditerranéennes, Ed. Erick Bonnier, 2016.

Dans la Revue de Défense nationale de mars 2016

Du sionisme originel à l’impossible État palestinien : la radicalisation politique et sécuritaire d’Israël

Barack Obama déclarait en juillet 2014 dans le quotidien israélien Haaretz : « Les budgets sont serrés à Washington, mais notre engagement envers la sécurité d’Israël demeure à toute épreuve. Les États-Unis se sont engagés à fournir plus de 3 milliards de dollars chaque année pour aider à financer la sécurité d’Israël jusqu’en 2018 » (1). Près d’un an et demi plus tard, Barack Obama renforçait encore plus l’accord de coopération sécuritaire qui unit les États-Unis à Israël, mais avouait dans le même temps le 10 novembre 2015, qu’il jetait l’éponge, et qu’il n’y aura désormais aucune relance possible des négociations israélo-palestiniennes avant 2017. Ce sera donc le rôle de son successeur, républicain ou démocrate. Aujourd’hui la situation est plus bloquée que jamais, avec un gouvernement israélien qui n’a jamais été aussi à droite et à l’extrême-droite, aussi nationaliste et religieux, et une représentation palestinienne divisée entre Hamas et Autorité palestinienne qui se cherche un successeur compétent et constructif. L’opération inédite de renforcement sécuritaire de l’État hébreu, décuplé depuis les révoltes arabes et qui plus est, depuis l’accord sur le nucléaire iranien entre Téhéran et la communauté internationale, n’est que l’aboutissement d’un long processus historique de colonisation des territoires palestiniens, à des fins politiques et économiques puis religieuses et sécuritaires, qui semble aujourd’hui irréversible.

Article complet dans la revue en vente en mars 2016

RDN-MARS

 

Prix Nobel de la Paix en Tunisie, une victoire pour l’ensemble des Tunisiens (avec Meriem Ben Lamine

En mars 2012, l’Institut Medea, avec le soutien engagé de deux députés européens, Malika Benarab Attou et Vicent Garcès, de l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée, et du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient, organisait le premier grand colloque international consacré à la Tunisie post-révolutionnaire, au sein même du Parlement européen à Bruxelles.

Avec Meriem Ben Lamine, nous pensions que c’était l’occasion idéale pour montrer aux Européens de quoi était capable la Tunisie. Les intervenants pressentis nous confirmèrent immédiatement leur désir de parler depuis Bruxelles, capitale de l’Union européenne et parfois de la désunion.

Une journée complète de débats avec des invités prestigieux et près de 150 personnes toute la journée nous rassura et sur la détermination des politiques, et sur celle de la société civile, à faire de cette « révolution » un laboratoire de la transition démocratique dans tout le monde arabe.

Parmi eux figuraient: Ridha Farhat, ambassadeur de Tunisie à l’UE, Kamel Jendoubi, aujourd’hui Ministre délégué chargé des relations avec la société civile, Bernardino Leon, à l’époque représentant de l’UE auprès des pays de la rive sud de la Méditerranée et actuel émissaire spécial des Nations unies pour la Libye, Karima Souid, députée Ettakathol, Mabrouka M’barek, députée du CPR, Zied Ladhari, député Ennhada puis porte-parole d’Ennhada et devenu Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle en 2014, Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté des Lettres de l’université de la Manouba, Vincent Geisser, chercheur à l’IFPO et à l’IREMAM, Hamrouni Nejiba, présidente du syndicat des journalistes, Helé Beji, écrivaine et président du collège international de Tunis, et Raouda Laabidi, présidente du syndicat des magistrats.

C’était une période charnière que l’Europe essayait de comprendre en dehors de toute grille d’analyse passée. Les « Tunisiens » que nous avions invités étaient venus parler aux « Européens », alors que le pays était en plein anniversaire des 56 ans de son indépendance, et que les commissions de l’Assemblée Nationale Constituante ont commencé leurs travaux de rédaction de la Constitution.

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En janvier 2014, une Constitution avec ses avancées et ses lacunes a été votée et a donné naissance à la deuxième république tunisienne. Désormais, la Tunisie n’est plus dans le transitoire. Cette nouvelle phase a donné lieu à des élections présidentielles et législatives en 2014 et l’Assemblée Nationale Constituante est remplacée par l’Assemblée des Représentants du Peuple.

Aujourd’hui, malgré les difficultés économiques graves persistantes, malgré les assassinats politiques, malgré les attentats violents du Bardo et de Sousse, en 2015, la Tunisie reste debout et enterre seule les « Printemps arabes », qui semble ne lui avoir réussi qu’à elle-seule. Certes, il y avait un contexte favorable mais rien n’est jamais acquis: priorité à l’éducation depuis Bourguiba, fort dynamisme de la société civile, dont le quartet qui tout fait pour éviter la rupture de dialogue entre les partis politiques et que les fruits de la révolution deviennent amers et tournent à la guerre civile comme en Libye.

L’annonce du Prix Nobel au Quartet du Dialogue National tunisien est un encouragement de toute la communauté internationale pour le seul pays du monde arabe qui tient le coup. Alors, il est des prix Nobel comme des concours: le choix du vainqueur est toujours critiqué et suscite toujours pour d’autres des jalousies. C’est un fait: un prix n’est jamais parfait, pas plus qu’une démocratie, tunisienne ou pas, française ou pas, américaine ou pas. Mais ce Prix ne pourrait être remis en cause comme il l’avait été pour Barack Obama (2009) ou encore l’Union européenne (2012), qui enterrait les Grecs.

Le Comité norvégien du Nobel a donc salué la société civile, patronat, syndicat UGTT (Union Générale des travailleurs tunisiens), Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et Ordre National des avocats tunisien qui ont lancé le Dialogue national en 2013 alors que les troubles sociaux et les attentats politiques se multipliaient dans tout le pays. Ce quartet a réussi où d’autres ont échoué, il a pu mettre autour de la même table vingt et un parti politique sur vingt-quatre et avoir leur adhésion sur une feuille de route consensuelle.

L’Union européenne s’empressa de saluer les « lauréats qui montrent la voix », bien qu’elle soit toute concentrée sur la situation en Libye et la tentative de formation du gouvernement d’unité nationale. Le Président François Hollande déclara lui suite à l’annonce que ce Prix Nobel est « un encouragement pour encore soutenir la Tunisie dans les épreuves qu’elle traverse ». Les mêmes félicitations arrivent de différents pays arabes.

Le quartet doit poursuivre son rôle avant gardiste et prouver que ce Prix est bien mérité en responsabilisant l’Etat et les politiques à retrouver les assassins de deux figures politiques majeures: Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, à rétablir les négociations entre le secteur privé et public, et enfin à trouver une issue au conflit né à la suite de la proposition du Président de la République d’un projet de loi sur la réconciliation économique et financière nationale qui divise les Tunisiens de nouveau.

FOCUS: Netanyahu mark-IV, a predictable victory

The Israeli elections on March 17 should not have had a surprise result. Surveys and experts had been predicting the downfall of Netanyahu for several days. The outcome of the vote was, in fact, according to the latest polls and after a particularly aggressive and angry campaign, supposed to consolidate the position of the center-left Zionist camp, with the Herzog-Livni double act succeeding Benjamin Netanyahu. Intellectuals, politicians of all stripes abroad, even researchers: all were convinced of a coming political renewal at the head of the Jewish state. They believed in a return of the « left. » However, a number of specialists resisted the media bandwagon. We were proven correct. And the biggest surprise of the elections? The unusually high turnout of around 72%

Predictions of the return of the “left” in Israel indicated a lack of understanding of Israel’s political landscape, recent history and electorate – and, crucially, of Netanyahu’s character. For fifteen years, the right and the extreme right have been in the ascendency, signaled by the increasing colonisation of territory and obsession with security in an uncertain regional context. Both developments are caused by and further stimulate the rise of the right, nationalism and religious Zionism.

The latter concern is arguably legitimate, since the region is undoubtedly worryingly unstable. However, although Sharon evolved towards the end of his political career from the hawkish posture he had held since the War of Independence, can we expect the same from Bibi? Do such expectations entail accepting the old adage that, if you want peace, you must prepare for war? It is of course unlikely that he will start to make concessions. The only time he did so, in 1999, he lost his job.

Moreover, those wishing for a return of the “left” should remember that, historically, the Israeli left is responsible for end of the Palestinian state on November 29, 1947, and the expulsion of Palestinians between 1947 and 1949 – with, of course, a helping hand from right-wing militias such as the Irgun and Stern Gang. Leftist parties also conducted the Six Day War and laid the ideological roots for the colonization of Palestinian territories in the name of security, long before the arrival and subsequent ascendency of the right in 1977. People should also not need reminding that the occupation of Palestinian territory has been uninterrupted for forty-seven year and, indeed, intensified under the 1999-2001 tenure of the Labour Party’s Ehud Barak.

Netanyahu’s headstrong and hardline approach to politics may be isolating Israel and destroying whatever possibility remained of an independent Palestinian state, but his departure from previous leaders – including those of the Israeli left – is one of style more than substance. And as long as he continues to offer a firmer and – at least rhetorically – more convincing position on Israel’s security, it is hard to see him being swept aside.

Netanyahu’s Likud: a symbol of national unity against the new Amalekites

There are degrees of radicalism in the various political parties of the right, nationalist, religious Zionist and Messianic Israeli movement. But Netanyahu’sLikud remains the largest party in government. Unlike others, such as Kadima, the right-wing party which eventually joined the left in 2006, Likud is the party most able to deliver unity among the right-wing sections of the electorate. Except in the elections of 1999 (19 seats) and 2006 (12 seats), Likud has rarely dropped below the twenty or thirty seats in the Knesset since 1973: 39 seats in 1973, 48 in 1981, 32 in 1996 (when Netanyahu became leader of the party and Prime Minister), 38 in 2003, 27 in 2009, 20 in 2013 and 30 in 2015.

Due to this relative consistency, Likud in its policy and rhetoric is a fundamental reference for Israeli voters. And their line never changes: security, security and security. In reality, this involves the colonization of Palestinian territories, the refusal of a Palestinian state, the waging of numerous preemptive wars which are devastating not only for Israel’s enemies, but for the country’s economy and, in turn, society. Likud constantly presents itself as defending Israel against a host of enemies, the star cast of which does not change, regardless of the situation: Iran, which nevertheless looks set to return to the international community of nations; Hezbollah; Hamas; and new kids on the block, Daesh (the Islamic State), labelled ‘the number one threat to the entire international community’. The enemies are presented as a modern incarnation of the Amalekites, the Biblical enemy of the Jewish tribes.

Since taking office, Netanyahu has rarely changed his true position on any key issues affecting Israelis. Nor, indeed, has he made any progress in solving the country’s economic and social crises, on defense issues, on the ‘existential’ struggle against enemies, or with regards to the Palestinian state.  His consistency in this regard should not be clouded by his sometimes divergent statements. In his speech at Bar Ilan in 2009, Netanyahu supported the two-state solution. Today, he no longer even pays it lip service and argues strongly against Palestine’s unilateral campaigns the United Nations. Deep down, one suspects that this has always been his position. And this consistency wins Netanyahu and his party elections. As the prominent blogger Charles Enderlin argued, if elected, Netanyahu will simply continue to implement his long-standing project: to transform the essential spirit of Israel and end any possibility of a two-state solution.

The inconsistent and disorganised opposition

The list of the centre-left Zionist Union camp, headed by Isaac Herzog, son of former Israeli President Chaim Herzog, and Tzipi Livni, regular defector from right to left, nevertheless made more than respectable gains. But not enough to win victory. With 24 seats, the Zionist Union may be a newly established party, but the manner of its emergence will be familiar to Israelis: a coalition scrambled together purely in order to win an election.

This leads to great inconsistency among centrist and centre-left parties, exemplified by Yair Lapid’s Yesh Atid party. In the 2013 elections, the party emerged from nowhere to gain 19 seats, making it the second largest force in the Knesset, and joined the ruling coalition under Netanyahu. In the most recent elections, after refusing to repeat the partnership and signing up to the centre-left opposition, Yesh Atid fell to only 11 seats. Beyond the surprising gains of theUnited Arab List, to which we shall return, this to-ing and fro-ing means that the centre-left lacks credibility as a long-term alternative for the Israeli electorate.

This is exacerbated by the fact that the Israeli right blames the centre-left for believing in Oslo and the possibility of peace with the Palestinians after the failure of the Camp David II negotiations. When surveying the history of the Labour Partyover the last ten years, it is clear that the once-mighty force is now fragmented and dormant. Its former leaders, such as Barak, have shifted radically to the right and even founded their own party, Haatzmaut (Independence), which has since disappeared.

While short-lived, this move demonstrated that the ideology dominant at the time of Israel’s founding, that of the Labour Party, is no longer in vogue. The left has disappeared into a black hole. In 2013, the Labour Party won only 15 seats. While the center-left Yesh Atid clinched 19 seats, it scrambled to form an alliance with Naftali Bennet’s far-right Jewish Home, before joining the Netanyahu government.Labour won 13 seats in 2009, with Kadima shifting to the left-center and gaining 29 seats. In 2006, Labour won 19 seats, with Kadima (at this point, still on the right) clinching 29 seats. Likud, with 12 seats, appeared to have suffered a major blow. Of all the traditional left parties, it is Meretz which has remained most true to its ideals and consistent, still calling for a shared Jerusalem, two-state solution and dismantling of the settlements. As for the Unified Arabic List, it has – largely thanks to its leader, Ayman Odeh – won 14 seats, making it the third largest political party in the country. As already made clear during the elections, the Arab List will not ally with either Herzog or Netanyahou, but will rather taking a leading role in the Israeli opposition. It will be a strong symbol.

The only consistent policy comes from the right

The Israeli left has lost its identity, wears a black rose for the Palestinian’s simply to cover the indelible stain of its original sin, and has directly or indirectly contributed to the erosion of some of the great humanist principles of early Zionism: the New Man, the new country’s dreams, kibbutzim, an egalitarian society. They are not trusted to solve Israel’s most intractable problem, nor its present crises.

For all these reasons, the left tried to reconcile with its past and present itself in the recent elections as a « Zionist » union. However, Zionism has evolved since the left’s heyday. Supposedly « secular », it has seen its nationalist and religious elements come into the ascendency. There is an unmistakable « theocratization » of Israel, whether in politics, in the army or in the population at large. This rise of religious discourse, of course, plays into the hands of Netanyahu and other right-wingers, especially its ultra-orthodox, “traditionalist” components: United Torah Judaism,Yisrael Beiteinu and Jewish Home.

The emergence of this “Bloc of Faith”, together with the ascendency of the right since 1977, has gradually merged the discourses of defense and security with religious messianism in the Palestinian territories. For increasing numbers of Israeli radicals who support these “fringe” parties of the extreme right, “Palestine” is simply understood as Judea and Samaria – and thus as Israel’s rightful territory. This discursive merger is extremely potent and dangerous.

However, the inconsistency of the Israeli « left » in its 2015 election program made it unlikely that it would be seen as a credible alternative. They have been pulled into the orbit of the right, making continued attempts to invoke their founding principles appear contradictory and unconvincing. They view Jerusalem as the indivisible capital of Israel, making ostensible commitment to a two-state solution appear hollow; they support the dismantling of the settlements – apart from the largest and most controversial, such as Ma’ale Adumim. They recognise Palestinians’ right to a state, but not on the basis of the 1967 borders of Green Line.  These contradictions perhaps explain why even left-leaning Israelis end up consistently voting for the right: the left is dead and its attempts to deny this merely make it appear schizophrenic.

Any recovery of the left depends on whether it can offer the electorate a credible solution to Israel’s social and economic crises and, in so doing, push defense and security down the agenda. Indeed, since 2011 Israelis have repeatedly denounced Netanyahu’s record in the former area. Despite appointing a special commission in the aftermath of record-breaking public protests, the Prime Minister has been unable to resolve any economic problems. Indeed, his relentless focus on defense and security means that the state simply lacks the money to do so. The center-left has attempted to campaign on this issue, but ultimately, Israelis prefer invest hope in candidates who prioritise security.

Even on economic matters, the right still has the advantage. The rise of kingmakers like Moshe Kahlon, a Likud defector whose Kulanu (All of Us) party campaigned on socio-economic issues, allows Netanyahu to at least rhetorically reconcile the defense of the country with the defense of the standard of living for its citizens. By incorporating elements pushing a few traditionally centre-leftist policies, the ruling right-wing block is able to attract a broad enough voter base to remain secure.  And, of course, any serious external attack or threat will see debate on socio-economic issues further suppressed in the name of “national unity”.

Netanyahu has a free hand to build a strong coalition of nearly 67 seats, sending Arab parties and Labour into opposition, and allying again with the most radical right-wing parties in the country: those who want Lieberman to initiate new wars against Gaza and Hezbollah; those who want to “save” Israel, such as Naftali Bennett, who takes an ultra-aggressive stance against all enemies of the country and shows zero remorse while pursuing the “natural” recolonization of Judea and Samaria; those who, like United Torah Judaism, want to reconquer the Dome of the Rock from the Muslims and repeal the law which will subject ultra-Orthodox Jews to mandatory conscription from 2017.

Meanwhile Israel will continue to “over-secure” itself, against Iran and other enemies, interfere with the fallout from the Arab Spring, risk further inflaming and already volatile situation in Syria and elsewhere and to support the status quo in less urgent questions for the Israeli electorate, in particular with regards to Palestine. Internationally, the Israeli government will continue to present threats to its own interests as threat to the entire world. Netanyahu recently stated once against that he has not changed his policies, but rather the political reality has changed. And indeed, Netanyahu mark-IV looks very much like the previous models. Is this a good this for Israel, or simply for the personal ambitions of the Prime Minister? Israel is more and more cut off from the international community, from European union, and, most importantly, from Barack Obama. It has not yet been abandoned by the United States. But for how long will it remain in favour?

Intégration méditerranéenne et désintégration de la question euroarabe

La coopération euro méditerranéenne viserait entre autres à l’intégration régionale, et au développement de synergies autour de la culture, l’éducation, la recherche, la science. Elle viserait les échanges entre pays du nord et pays du sud, mais également entre pays du sud eux mêmes. Lorsque l’on parle d’intégration méditerranéenne, il y a une question qui ne trouve pas de réponse depuis plus de 60 ans et qui réflète l’idée même que l’intégration euro-méditerranéenne a soit échoué parce qu’elle n’a pas résolu cette question historique, soit qu’elle peut tourner sans elle avec une plaie ouverte au coeur même de celle ci en l’ignorant largement et en vivant quasiment dans une sorte de myopie qui lui serait bénéfique. C’est bien sûr la question israélo-palestinienne, avec laquelle « on fait », ou « on fait sans ». Et qui bien sûr condamne en réalité largement le succès d’une intégration méditerranéenne des peuples.

C’est avant tout une désintégration régionale autour de cette question, et une désintégration internationale

En réalité, ce qui s’est passé cet été 2014, comme lors des précédentes guerres de Gaza, mais globalement ses 60 dernières années, est le reflet de plusieurs choses liés à l’union européenne, lié à la méditerranée, liés aux Occidentaux de manière globale, liés aux Arabes en particulier. La guerre a Gaza de l’été dernier a fait près de 2500 morts palestiniens surtout des civils, une cinquantaine israéliens surtout des soldats, près de 200 000 déplacés, et provoqué la mort de 800 enfants. L’impuissance mondiale, à temporiser la réaction israélienne, l’absence totale européenne à se positionner mais surtout agir et se présenter en tant que médiateur incontournable face aux Etats-Unis par exemple, l’ambiguité arabe historique autour de la question palestinienne et le tropisme de certains d’entre eux « en paix » en faveur d’Israël comme l’Egypte revenu dans le giron d’alliances de l’État hébreu, tout cela reflète en partie l’échec de l’intégration méditerranéenne.

La « question » israélo-palestinienne depuis plus de 60 ans c’est avant tout la défaite de la communauté internationale : et on le voit tout récemment encore dans cet écart de parole et d’acte concernant la reconnaissance de l’État de Palestine aux Nations unies en 2012 d’un côté et l’incapacité de soutenir la réalisation d’un véritable Etat sur le terrain, condamné par la colonisation israélienne contre laquelle rien ne semble possible ; on l’a vu en Méditerranée même avec l’UPM qui a échoué en partie sur cette question israélo-palestinienne et l’impasse autour d’une position et action commune des 43 pays du nord et pays du sud. C’est aussi donc la défaite des Européens, qui ne parviennent pas à exister dans le concert des nations entre des médiateurs incontournables jusque maintenant, les USA, au coeur du quartette, ou face à des médiateurs régionaux comme l’Egypte.

Enfin, c’est la défaite arabe, à partir du moment bien sûr où de puissants acteurs de ce monde politique, culturel, et social, reviennent dans un rapport de paix mais surtout de coopération fort avec l’État hébreu, objet de discorde par excellence. Or l’intégration régionale est favorisée bien évidemment à partir du moment où il n’y a pas de conflit ouvert, et l’on se pose tous en permanence la question lorsque l’on s’embarque dans un projet euro-méditerranéen : soit on parvient à détourner la question entre Israéliens et Palestiniens en se focalisant par exemple sur un sous ensemble régional (UE et maghreb, UE et Golfe), soit en intégrant Israéliens et Palestiniens au risque de voir le projet capoter parce que sensibilités, susceptibilités s’enflammeront rapidement à la moindre avancée considérée comme « suspecte », en faveur d’un des deux acteurs, braquant l’autre et ses soutiens. Bref, le casse tête si l’on veut favoriser l’intégration des peuples de la méditerranée, et la construction d’une communauté des peuples.

Du processus de Barcelone à l’impasse autour de la question aujourd’hui : du politique à l’économique oui ; du politique au civil, non

Le processus de Barcelone de 1995 avait pour but de créer une zone économique prospère, une zone politique de paix, et une zone culturelle foisonnante et dynamique. En partant de l’économique, ce qui est un succès en matière de libéralisme depuis 60 ans en Europe et depuis Barcelone entre Nord et Sud, on espérait un succès et une intégration politique forte. On connaît le résultat : des accords d’association privilégiés entre l’UE et la Palestine (donnant un vrai rôle politique à l’OLP à l’époque), et surtout avec Israël (depuis pile 20 ans et aujourd’hui le second partenaire de l’UE en méditerranée SIC) qui font l’objet de polémiques, tensions, réhaussement permanent au point que certains se demandent si Israël ne fait déjà pas partie de l’UE. Ca c’est un ‘succès » pour l’UE, mais n’a rien permis de faire avancer de façon bilatérale et globale. Cela questionne les tenanciers de l’argument de la paix économique avant tout entre Israéliens et Palestiniens pour parvenir à la paix, surtout lorsque de tels privilèges sont accordés à Israël en dépit du bon sens et je dirai presque du droit international (, gouvernement d’extrême droite aux relents nationalistes racistes xéonophobes limite apartheid selon John Kerry, produits des colonies, campagne BDS contre l’accord d’association Israël UE virulent). Et le blocage israélo-palestinien,  est bien demeuré le principal blocage au succès du processus de Barcelone, près de 20 ans plus tard, après l’assassinat de Rabin, après la seconde intifada, après l’échec des négociations de camp David, après trois guerres à Gaza, la situation économique bien sûr s’en ressent aussi sur le terrain : crise économique majeure en Israël qui sera la nouvelle bombe à retardement pour le pays et Palestine sous perfusion des subventions internationales (UE premier bailleur de fonds à 60 % qui fait que tout ce que détruit Israël en général dans ses guerres est souvent européen : exemple de l’aéroport international de Gaza en 2008) et fausse dynamique de croissance observée il y’a quelques années ou quelques originaux arrivaient à parler de « miracle palestinien » (à Rammalah bulle spéculative misant sur la paix un jour et la capitale à ramallah dans le pire des cas en opposition avec la situation dans le reste des Territoires de la Palestine), avec une croissance à deux chiffres, mais sans grande réalité. Pourtant l’intégration politique pourrait passer par l’économique, comme l’ont suggéré cet été certains intellectuels en Israël comme l’ancien député Daniel Bensimon, qui suggérait qu’Israël supprime le blocus, reconstruise Gaza et développe les échanges économiques directs entre Gazaouis et Israéliens, un bon moyen d’éviter une nouvelle guerre, et une étape vers la relance d’un processus global de négociation. Evidemment, rien, et une guerre qui a couté cher à Israël, une guerre ratée, une de plus, et une reconstruction qui va bénéficier unilatéralement via la communauté internationale, à Israël qui fournira les matérieux, et les moyens pratiques de la reconstruction.

A mon avis, il sera difficile de faire sans, mais tant que le processus de paix ne sera pas au moins relancé, et on est à des années lumières depuis plus de dix ans (je rappelles qu’à l’heure actuelle, il n’y a plus aucune forme de négociation ouverte, ni même secrête), il sera difficile de faire avec pour accélérer cette intégration méditerranéenne et le dialogue politique. L’intégration méditerranéenne suppose quelques harmonisations politiques sans extrémisme, or la situation politique israélo-palestinienne est dans la radicalisation et ce des deux côtés depuis plus de vingt ans. L’intégration méditerranéenne suppose un terreau culturel commun, et c’est peut être tout la difficulté de percevoir en Israël et en Palestine, cet élément de compatibilité : la majorité des juifs ayant fait l’État d’Israël comme ceux qui dirigent le pays depuis 60 ans, ont un état d’esprit occidental, plutôt européen (un pays pensée en Europe, construit par des Européens dans un monde inconnu et oriental).

La nation c’est comme disait Renan, ce lien non visible, ce lien magique, entre des personnes qui ont une volonté, un intérêt à vivre ensemble. C’est avant tout de l’affectif et du sensitif, du culturel bien sur, mais de l’émotionnel. La question entre Israéliens et Palestiniens nous touche tous, au plus profond, nous avons tous un avis, même ceux qui n’y connaissent rien, nous nous positionnons en Europens en faveur des uns et des autres, nous influençons et malheureusement souvent participons à la dégradation des relations entre les deux communautés ; mais si nous commencions peut être nous au Nord, par ne rien faire justement, et laisser en local et en régional les pays du Sud s’investir dans le sujet, un médiateur purement régional plutôt qu’américain ou occidental, si nous prenions du recul par rapport à des décennies d’ingérence, détruisant par là même le lien naturel entre ces gens qui sont condamnés à vivre ensemble les uns et les autres, peut être que le règlement avant tout politique de cette question avant tout humaine, permettre à ces deux peuples de se faire face et se regarder de nouveau pour avancer ensemble. En Europe, les Balkans ont toujours été la poudrière des relations entre Européens, et de l’intégration européenne. Quand on a fait l’Europe au sortir de la 2nde guerre mondiale, c’était pour défendre le plus jamais ca : manque de bol, une guerre a eu lieu au coeur même de l’Europe au début des 90’s, un génocide même (Srebrenica contre les musulmans). Les relations euro-méditerranéennes sont malheureusement pourries par la question israélo palestinienne, parce que ce modus vivendi, cette façon de penser européenne israélienne ne veut pas s’adapter à l’environnement régional qui la cerne. Vivre en résistance permanente, ce n’est pas s’intégrer, être intelligent c’est avant tout s’adapter. C’est peut être alors plus aux Israéliens forgés à la sauce occidentale, de faire un plus grand effort de compréhension

Le changement récent à la tête de la diplomatie européenne, avec Mme Federica Mogherini, peut il changer qqch dans l’approche européenne de la question israélo-palestinienne d’un point de vue politique et concret ? Après l’inertie de la baronne Catherine Ashton, les dernières positions de Mogherini sur la nécessité d’un Etat palestinien ne sont qu’un rappel de la déclaration de Venise, des années 1980, et de déclarations ultérieures. Dans le même temps, on cherche en permanence à rehausser l’accord d’association avec Israël, ce que les ONG propalestinienne dénoncent. A quand la fin de l’hypocrisie ? Si ca ne passe pas par le politique, ca peut passer par le peuple mais pas suffisant : les manifestations contre la guerre unilatérale d’Israël à Gaza cet été, ont eu lieu partout en Europe (Irlande, France, Suède, etc) et fortement aux USA, et toujours très peu dans le monde musulman (Indonésie, Turquie, Bahrein). Le 10 août 2014, Tahar Ben Jellou, dans Libération cet été avait titré sa tribune « Mais que font les pays arabes pour sauver Gaza ? » C’est une question récurrente, mais surtout comme je l’ai dit, historique. IL y a le politique et il y’a le social.

La Ligue arabe ? Elle n’a pas véritablement permis d’interférer dans la question comme dans la fédération des Arabes autour d’un destin commun et d’une vision commune pour l’avenir.

« Oui, la Ligue arabe ! Quelle misère ! Quelle insignifiance et cela depuis toujours. Elle ne sert à rien. Au contraire, elle devient la scène spectaculaire des incompatibilités des uns avec les autres. Elle fait illusion et certains pensent qu’en se réunissant, en pleurant ensemble, l’état du monde changera. Oublions cette instance qui aurait pu être utile et même efficace. Mais cela fait longtemps qu’elle est damnée et n’est pas crédible.

La « civilisation arabe » ? Il y a de quoi douter.

« Depuis 1948, la Palestine a été un laboratoire de la décadence de la civilisation arabe. Il faut que tous les Etats arabes se fassent violence, oublient leurs différends et se mettent d’accord pour aider sérieusement et concrètement le peuple palestinien. Ils pourraient, par exemple, créer un fonds pour la Palestine, et que chacun contribue selon ses capacités. Il faudra sans doute s’inspirer de la solidarité juive avec Israël. Pourquoi ne pas imiter ce qu’ils font avec intelligence et savoir-faire ? Une petite partie des immenses richesses que procure l’exploitation du pétrole et du gaz dans tous les pays musulmans pourrait aider à la création d’un Etat palestinien viable et dans une continuité territoriale à côté de l’Etat d’Israël. Son développement économique répondrait aux contraintes quotidiennes que l’Etat hébreu exerce sur les populations palestiniennes. Par ailleurs, cela ferait cesser la tutelle économique doublée d’un embargo scandaleux qu’Israël impose aux territoires occupés.La responsabilité des Etats arabes est là. « 

Voilà un vrai défi lancé aux peuples méditerranéens, et qui seraient un premier succès vers une véritable intégration méditerranéenne. De là, nous nous inscrivons à nouveau dans ce « temps long » cher à Fernand Braudel, et il faudra encore beaucoup de patience.  Sans une solidarité de TOUS ces pays et peuples, autour de cette question sinon, l’intégration méditerranéenne restera une utopie.

Pour plus d’informations techniques et historiques:

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bagf_0004-5322_2005_num_82_1_2435

DOCTEUR EN SCIENCES POLITIQUES/ CONSULTANT INTERNATIONAL/ INTERNATIONAL CONSULTANT/ RELATIONS EUROMEDITERRANEENNES